L’autre Johnny


Dans sa bière blanche posée sous la nef de l’église de la Madeleine, Johnny a-t-il eu une pensée d’au-delà pour un autre Johnny?

PAR CHRISTIAN CAMPICHE

Stark, celui-là. Son imprésario des débuts, dont le cercueil, noir, cette fois, précéda de 28 ans le sien, au même emplacement. Mort d’une crise cardiaque en 1989, Johnny Stark régna sur le parcours de Johnny Hallyday entre 1960 et 1966. Sous son ère, le rockeur français entreprit de modeler et remodeler son image, ce qui contribua à asseoir son succès de manière durable. C’est ainsi qu’il servit sous le drapeau tricolore, se maria sagement, tenta le suicide et faillit périr dans un accident de voiture. Autant d’événements que la presse relaya abondamment et qui valurent chaque fois à l’intéressé un regain de notoriété. Même s’il serait abusif de les imputer toutes à une mise en scène habilement orchestrée, ces ébauches de destin auraient pu s’inspirer des CV de Presley et Dean, modèles de Johnny et symboles du rêve d’une Amérique animée par l’idéologie bourgeoise.

En ce jour de 1989, l’interprète de « Noir c’est noir » ne participa pas aux obsèques de son pygmalion avec lequel il s’était brouillé et qu’il critiquera dans une autobiographie parue bien des années plus tard. Ce soin, il le délégua à l’éplorée Mireille Mathieu, autre créature de Stark, un homme dont il faut bien reconnaître le génie de la communication, pour reprendre le qualificatif utilisé par un biographe de Johnny Hallyday. Stark était un personnage typique des glorieuses du vinyle, ces impresarios au flair infaillible qui orientaient la carrière de leurs poulains au point d’exercer sur ces derniers un ascendant despotique, à la limite du morbide. Autre sculpteur de gloires, Brian Epstein fut trop seul pour traumatiser les Beatles, mais le succès planétaire des Quatre garçons dans le vent lui doit certainement beaucoup.

Ne nous méprenons pas. La mise en scène et la publicité, le storytelling, pour rependre un terme de marketing, ne suffisent pas à eux seuls à créer un artiste charismatique qui réussit à drainer des centaines de milliers de personnes à son enterrement. Sans un minimum de talent, le miracle ne saurait être au rendez-vous. Piètre guitariste – il portait souvent son instrument en bandoulière mais ne jouait pas vraiment – Johnny n’en fut pas moins un formidable showman. Son plaisir était l’expression corporelle, portée par une voix de stentor que l’abus de cigarettes ne ruina pas. Sa débauche d’énergie, ses qualités d’acteur et une grande authenticité dans l’art de chanter et de s’adresser aux gens faisaient le reste. A l’instar de Claude François, il fut une bête de scène, un vrai professionnel absolument respectueux de son public, qui le lui rendit bien.

S’il avait pu observer la foule déployée le long des Champs-Elysées pour rendre hommage aux 60 ans de carrière de celui qu’il contribua à façonner, Johnny Stark aurait été fier de son protégé. Mais déçu de constater que tout le monde l’a oublié. Lui, le faiseur de stars, il ne s’est presque pas trouvé de média au cours de la semaine écoulée pour rappeler le rôle qu’il avait joué. Les fans du Johnny de l’époque de « L’idole des jeunes » s’en souviennent pourtant, eux.

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3 commmentaires à “L’autre Johnny”

  1. Manuel Ruch 11 décembre 2017 at 11:26 #

    L’hommage populaire rendu à Johnny Hallyday a réuni samedi près d’un million de personnes des Champs-Elysées à l’église de la Madeleine… “Et sans moi et sans moi, et sans moi”. Insupportable. Marine Le Pen a lancé une diatribe dont elle est friande pour affirmer son indécente présence, posant par là même une question pas inintéressante: cérémonie privée avec invitations protocolaires ou publique avec des relents politicards. Tentative de réponse:
    À propos des lamentations du FN et de la perfide Marine Le Pen, soyons précis: C’est un pur coup de pub pour la spécialité FN – le Pen: la victimisation. Le refus est parfaitement justifié: dans l’église les autorités, corps constitués, les amis et confrères de Johnny et quelques privés choisis parmi ceux qui ont travaillé pour lui. Elle n’est dans aucun de ces cas et en plus je doute que Johnny eût la moindre intention de l’inviter. Elle a donc simplement voulu s’imposer. Ce qui est abject, éhonté, irrespectueux.
    Si encore c’aurait été pour rendre un hommage personnel. Elle avait 4 kilomètres où pouvoir s’installer parmi les vrais fans, mais je doute qu’ils l’eussent accueillie avec enthousiasme..
    Elle n’avait donc aucune place, ce qui correspond parfaitement à ce que veut le FN depuis toujours. Bizzarement elle joue les vierges effarouchées, outrée qu’on lui fasse ce qu’elle veut depuis longtemps.

  2. Geneviève Delaunay 11 décembre 2017 at 13:47 #

    Fi ! des politiciens qui ne sont pas à la hauteur de leur tâche morale dans des circonstances comme celle-ci ; les obsèques de Johnny.
    On est tous un peu lui, à travers son parcours personnel et artistique. Repassons et écoutons attentivement ses chansons, certaines sont très émouvantes et font “mouche”.

  3. Martin de Waziers 12 décembre 2017 at 06:01 #

    Merci, cher Christian, de savoir rendre hommage aussi aux hommes de l’ombre, comme on doit le faire aux femmes de la même manière. On dit bien qu’il n’y a pas de grand homme sans une “certaine” force derrière… Si ceci n’entame en rien celui rendu à la personne principale, cela fait du bien à la mémoire de l’intéressé! Mais où est la gratitude dans notre monde? Même s’ils s’étaient distancés, Johnny a t-il su, lui aussi, faire ce geste?

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