Après m’être rendu plus d’une trentaine de fois sur des lieux marqués par le terrorisme et les violences politiques, je suis retourné cette fois à Barcelone.
PAR FRANÇOIS MEYLAN, retour de Barcelone
J’y ai des contacts anciens au sein de la Guardia Urbana – la police de la ville de Gaudi et de son agglomération. J’ai également suivi de près la montée du séparatisme catalan au cours de ces vingt-cinq dernières années.
Les attentats du jeudi 17 août 2017 sur les célèbres Ramblas et le même soir dans la station balnéaire de Cambrils, distante de 120 km, m’interpellent à plus d’un titre. Il est, une fois de plus, question de véhicules volés et lancés dans la foule à grande vitesse avec pour objectif de faire le plus grand nombre de victimes. Comme pour les attaques similaires à Berlin, à Stockholm et à Londres, le «chauffard terroriste» prend la fuite en abandonnant le véhicule accidenté. Il n’a pas l’intention de mourir. Ce qui contredit la théorie habituellement répandue du terroriste kamikaze. Ce que dit l’écrivain marocain – prix Goncourt 1987 – Tahar Ben Jelloun: «Le mot kamikaze a été utilisé durant la seconde Guerre mondiale. Les kamikazes japonais étaient des soldats, mobilisés dans une armée en guerre, qui obéissaient aux ordres et n’attaquaient que des cibles militaires précises. Il ne s’agissait pas de suicides. La mort faisait partie de leur mission, et ils devaient l’accepter. C’est pour cela que les «djihadistes» ne sont pas des kamikazes. Cette notion de sacrifice de soi n’est pas courante dans le monde civilisé, autrement dit partout où domine l’instinct de vie. L’islam condamne d’ailleurs fermement le suicide, même pour une cause qui serait noble.»
Ensuite, y aurait-il une relation entre ces nouvelles attaques à l’encontre de passants – emploi de véhicules-béliers et agressions au couteau occasionnant 15 morts et des dizaines de blessés – et les événements politiques qui secouent la Catalogne?
Mais aussi, quel est le lien entre Barcelone et la coalition militaire qui a combattu l’État islamique (EI) en Syrie – puisque c’est cette organisation criminelle qui a revendiqué les attentats?
Précisons que l’empressement mis à revendiquer – le soir même – et l’inexactitude des faits décrits dans la revendication – mention d’une camionnette pour l’attaque de Cambrils alors qu’il s’agit d’une auto Ford berline – laissent croire que l’entité EI a agi dans la précipitation.
Notons que dans la constellation de la compréhension de l’action terroriste, se rendre sur place est toujours très utile. À la pensée unique colportée par les médias de masse et aux théories fumeuses – telles que celles sur les loups solitaires ou encore sur la génération spontanée de combattants au nom d’Allah – répétées en boucle depuis les attentats du 11 septembre 2001 par quelque analystes autoproclamés sur nos plateaux de télévision, la réalité du terrain et le contact avec les témoins de la première heure apportent un tout autre éclairage.
Des éléments recueillis sur place et des propos des meilleurs spécialistes, il appert que les autorités catalanes et espagnoles ont bel et bien eu affaire à un complot. Ce ne sont pas moins de douze individus qui sont impliqués dans ces attentats. La majorité étant d’origine marocaine et parlant français, ayant connu le banditisme et même la prison tant à Marseille qu’à Castellon, province voisine de Catalogne.
Si aucun lien n’est avéré entre la cellule marocaine et des éléments séparatistes catalans, il paraît évident que la situation politique intérieure n’a rien arrangé. Comme le souligne Nicolas Klein, auteur de «Rupture de Ban – L’Espagne face à la crise », les forces de sécurité catalanes sont restées sourdes aux avertissements de leurs homologues madrilènes. Durant l’été, le patron des Mossos d’Esquadra – la police de l’autonomie de Catalogne – jugé pas assez indépendantiste – a été remplacé. Par ailleurs les Ramblas – l’une des avenues les plus visitées d’Europe – laissait un accès aux véhicules lourds et se trouvait vulnérable du côté de son débouché sur la place Catalogne. Or rien qu’entre juillet 2016 et avril 2017, des attaques très meurtrières et similaires employant des véhicules-béliers ont eu lieu à Nice, Berlin, Stockholm et Londres. Les autorités locales auraient dû en tirer la leçon et prendre les décisions sécuritaires qui s’imposaient. Aujourd’hui, les dernières possibilités d’accès en véhicule sur les Ramblas sont condamnées par des voitures et fourgons de police en stationnement. Il y en a précisément quatre.
On relèvera également l’absence de tout lien entre Barcelone et la coalition qui combat l’EI. L’Espagne participe bel et bien à l’effort de guerre pour éliminer l’État islamique mais cet engagement est très anecdotique, comme l’a souligné sur un plateau de télévision Raphaël Jérusalmi, ancien officier des renseignements militaires israéliens. Pour ce haut connaisseur, la principale motivation de l’EI est de ne pas disparaître et de continuer à exister sur le «marché de l’emploi terroriste».
L’organisation criminelle aurait choisi la capitale catalane en raison de ses caractéristiques de cible à la fois facile et symbolique, a précisé sur les ondes Frédéric Gallois, ancien commandant du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN). L’enquête a démontré que l’attentat initial était d’y faire exploser, pour le moins, un camion rempli de bonbonnes de gaz butane. Ce qui n’a pas été rendu possible en raison de l’explosion accidentelle la veille de la maison où était entreposé le matériel explosif, dans la localité de Alcanar, à quelques 200 kilomètres de la capitale catalane. Une telle opération, si elle avait réussi, aurait hautement valorisé la capacité de nuisance de l’État islamique dont les structures de commandement battent en retraite sur la nouvelle zone de non-droit qu’est devenue la Libye. Le constat de Pierre Conesa, ancien haut fonctionnaire français au Ministère de la défense, est édifiant: «Plus de nonante pour cent des victimes du terrorisme pseudo islamiste sont des musulmans.»