Chronique catalane – Ces nouvelles formes de violence d’Etat que soutiennent des instances judiciaires


Les événements de ces derniers jours en Catalogne ont une nouvelle fois démontré que les actions menées par l’Etat espagnol à l’encontre du mouvement indépendantiste prennent la forme d’une violence d’Etat soutenue par les instances judiciaires.

PAR FRANÇOIS GILABERT

Le livre du philosophe français Yves Michaud intitulé “changements dans la violence”, dont je conseille la lecture, me revient en mémoire. Nous assistons, en effet, à un contexte de guerre moderne dont l’objectif est la disparition des aspirations politiques de la majorité d’un peuple qui souhaite démocratiquement décider de son futur. L’expérience nous montre que l’abandon des nécessités de dialogue lorsqu’un conflit apparaît engendre la violence et la destructivité. La terreur d’une remise en question des fondements même d’une nation entraîne semble-t-il un déni du conflit et l’instauration d’une spirale de la violence du type: “tu as osé affirmer une pensée, un point de vue différenciel qui questionne notre fragile équilibre. Cette insubordination mérite une sanction exemplaire proportionnelle à l’ampleur de la liberté que tu t’accordes! Nous la détruirons et ferons ainsi disparaître le mal-être issu de ton questionnement!”. Ainsi, le pouvoir gouvernant peut percevoir la liberté d’opinion et de pensée comme une réelle menace. Les déclarations de Mariano Rajoy et de sa vice-présidente Soraya Saenz de Santamaria illustrent avec éloquence mes propos: “nous avons décapité les leaders indépendantistes” (référence à leur emprisonnement, Saenz de Santamaria) ou “Nous avons gagné la bataille contre l’indépendantisme en Catalogne grâce à la contribution de notre gouvernement, de la justice, des médias et de tout espagnol qui ont oeuvré pour la défense de l’unité de la nation espagnole” (Rajoy 9.02.2018).

L’acharnement opiniâtre du président du tribunal suprême M. Pablo Llarena, en charge des inculpations des leaders indépendantistes ( M. O. Junqueras, vice-président de la Generalitat de Catalogne, de son ministre de l’Intérieur M. Forn et des deux dirigeants d’entités civiles indépendantistes Jordi Sanchez et Jordi Cuixart) à débusquer, derrière leurs agissements non violents, des indices délictueux de rébellion, en est un autre exemple et démontre bien l’ingérence de la politique dans le judiciaire. Le maintien de l’accusation de rébellion semble l’excuse parfaite permettant de priver ces personnes de leurs droits politiques. D’ailleurs, les arguments du Juge Llarena pour ne pas accorder la libération des quatres dirigeants indépendantistes sont éloquents : leur idéologie souverainiste coexiste avec un contexte politique dans lequel il n’y a aucune certitude qu’ils aient fait disparaître leurs intentions de réaliser l’indépendance de la Catalogne et que conséquemment il faille considérer la possibilité d’une récidive de leurs actes délictueux.

L’association espagnole “Juges pour la démocratie” a critiqué vertement les ingérences politiques répétées du gouvernement espagnol dans le pouvoir judiciaire et le Tribunal Constitutionnel dans le but d’influencer les résolutions concernant la Catalogne. Il faut également noter le silence du Conseil général du pouvoir judiciaire, organisme qui a pour mission fondamentale de défendre l’indépendance des magistrats. Cette association juge inadmissible les contacts entre le gouvernement espagnol, le président et les membres du Tribunal Constitutionnel avant même qu’ils aient délibéré sur l’admission en procédure du recours contre l’investiture de Carles Puigdemont en tant que président de la Generalitat de Catalogne. Ce Tribunal a ensuite pris la décision d’ajourner la décision concernant ce recours, mais par complaisance envers le gouvernement de Madrid, a tout de même imposé des mesures préventives qui rendaient impossible au candidat de se présenter à la séance d’investiture du parlement catalan. En effet, sa présence physique devenait obligatoire et M. Puigdemont aurait couru le risque d’une arrestation. Ce Tribunal passait outre les recommandations du Conseil d’Etat espagnol (organe suprême consultatif du gouvernement espagnol) qui conseillait de ne pas admettre le recours puisque M. Puigdemont avait pu se présenter aux élections autonomiques du 21 décembre 2017. D’autre part, le parti de Rajoy (PP) a annoncé qu’il présentera au congrès une loi révisant le droit de grâce, qui ne sera pas accordé, tenez-vous bien, aux coupables du délit de rébellion (passible d’une peine allant jusqu’à 30 ans de prison).

De plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer les exactions répressives du gouvernement espagnol. Human rights watch a condamné la violence policière à l’égard des votants lors du référendum sur l’indépendance de la Catalogne du 1er octobre 2018 et Amnesty International considère que les décisions du juge Llarena de garder préventivement en prison Jordi Sanchez et Jordi Cuixart, tous deux dirigeants d’associations civiles pacifiques, sont des mesures disproportionnées, tout en évoquant une atteinte aux droits fondamentaux du droit d’expression et d’association. De même, Ben Emmerson, avocat anglais renommé et ancien juge au Tribunal de Justice de l’Union européenne, au Tribunal européen des droits de l’homme, du Tribunal Pénal international et du Tribunal Pénal pour l’ex-Yougoslavie et le Ruanda a déposé une plainte auprès du groupe de travail contre les détentions arbitraires de l’ONU. Cette organisme devra se prononcer contre les agissements du gouvernement et de la justice espagnols. Il expose que l’emprisonnement de Oriol Junqueras, Joaquim Forn, de Jordi Sanchez et Jordi Cuixart viole le droit de liberté d’association, d’expression, d’opinion et de participation politique. Les décisions judiciaires à leur encontre ne respectent pas les standards internationaux du droit à un jugement juste. M. Emmerson ne prend pas position pour ou contre l’indépendance de la Catalogne mais réaffirme que les gouvernants ne peuvent réprimer la dissidence politique à travers les détentions des opposants, ce qui pour lui est le cas en Catalogne.

On compte 900 actes répressifs de la part de l’Etat espagnol contre les indépendantistes catalans depuis le référendum d’indépendance. En l’espace de deux mois, on dénombre 800 personnes interpellées, 56 perquisitions, 24 détentions, et 2 interdictions de manifestations politiques. Qui permettra le retour au dialogue et à l’écoute de la volonté d’un peuple, du respect des droits démocratiques? L’ONU? Les droits de l’Homme? L’union européenne, elle, brille par son silence complice…

Information de dernière minute: on nous annonce l’ouverture d’une procédure pénale pour une trentaine de personnalités déjà investiguées ayant joué un rôle dans les préparatifs du référendum d’indépendance. Les accusations portent sur des présumés délits de rébellion (passible d’un maximum de 30 ans de prison), révélation de secrets, malversation de fonds et de biens publics (financement du référendum), désobéissance et prévarication. Parmi ces personnalités on retrouve l’ancien président de la Generalitat de Catalogne M. Artur Mas, mais aussi l’ancien juge Santi Vidal, l’ex-président du conseil assesseur pour la transition nationale M. Carles Vives Pi-Sunyer, l’ex-secrétaire des finances publiques M. Lluis Salvado ainsi que des hauts fonctionnaires des services de télécommunication et des technologies d’information.

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