Lettre de Lima – Le débat sur la peine de mort exploite le populisme ambiant


«Qu’on les pende!»; «Qu’on les fusille!»

PAR PIERRE ROTTET

Les cris de la rue font actuellement presque l’unanimité au Pérou contre les pervers sexuels qui s’en prennent aux enfants pour les abuser avant de les assassiner…

Le cas de la petite Jimena, une gamine de 11 ans, kidnappée, violée puis assassinée le 1er février dernier à San Juan de Lurigancho, un district populeux de Lima, n’en finit pas de mobiliser et de secouer opinion. Une opinion encore attisée par les médias et les politiciens. Que les uns et les autres transforment en une véritable onde de choc. A leur convenance!

Dans son édition du mardi 13 février, alors que le coupable est sous les verrous et que les marches de protestations et de condamnations se succèdent, porteuses d’un même cri ou presque, « qu’on le tue », le quotidien « El Comercio » publie un sondage réalisé une semaine après ce drame. Selon le quotidien, 87% des Péruviens se déclarent en faveur du rétablissement de la peine de mort.

Opportunistes, pas en reste pour jeter de l’huile sur le feu, les milieux politiques trouvent là de quoi faire oublier les affaires de corruptions qu’ils traînent et leur laxisme, alors que l’opinion publique s’indigne face au sentiment d’insécurité grandissant. Une populace qui dit sa colère, exprimée pêle-mêle, et qui trouve sans doute dans cet acte odieux de quoi manifester son désaveu face à l’indicible, parfois vécu au quotidien. Face au cynisme. Aux affaires!

Aux affaires? Celles bien entendu où est empêtré le président péruvien Pablo Kuczynski. De nouvelles révélations mettent à mal sa crédibilité. Il a certes échappé de peu à un premier vote de destitution de la part du congrès, en janvier. Peut-être ne résistera-t-il pas à un second, puisqu’une nouvelle demande de destitution se profile en ce mois de février.

Ce qui ne l’empêchera pas, devant les caméras des médias nationaux, d’affirmer sans rire que le Pérou et l’Amérique du sud allaient vaincre la corruption, en recevant il y a quelques jours le secrétaire d’Etat étasunien Rex Tillerson.

Certes, le président Kuczynski ne s’est pas – encore – exprimé sur cette vague déferlante qui exige le rétablissement de la peine capitale. Contrairement à son ministre de la défense, Jorge Kisic: « Je suis favorable à la peine de mort », a-t-il déclaré. Contrairement aussi à «sa» Première ministre, Mercedes Araoz, citée par «El Comercio»: Malheureusement, nous devons assumer nos obligations internationales, mais la peine de mort sera en débat ».

Elle faisait sans doute allusion à la Commission interaméricaine des droits de l’homme. Ce ne serait cependant pas la première fois que le pays passerait outre… Certes, de nombreux congressistes appellent à la raison, afin de réviser les sanctions plus lourdes dans les cas les plus extrêmes, comme la perpétuité par exemple. Reste que de nombreux autres surfent sur la vague d’un populisme ambiant qui ne cesse de s’abattre sur le Pérou ces dernières années.

Pour les servir, des statistiques nourrissent l’opinion: le Pérou comptait en 2017 quelque 8100 prisonniers pour des délits de viols contre des mineurs, aux dires de l’Institut pénitentiaire national, alors que 17000 dénonciations étaient comptabilisées et diligentées entre janvier et septembre de l’an dernier par le Ministère public.

Le congrès pourra difficilement faire l’économie de la question, sous la pression de la rue. Et donc de l’électorat. Quitte à s’inscrire apparemment en porte-à-faux de la tendance mondiale à l’abolition. Le Pérou, qui passe pour l’un des pays parmi les plus conservateurs d’Amérique du Sud, voire d’Amérique latine, avait aboli la peine de mort en 1979, avant que le Parlement ne la réintroduise le 24 mars 2014, dans des cas de crimes de trahison ou de terrorisme.

Sous sa seconde présidence, Alan Garcia, qui traîne aujourd’hui à lui seul plus de casseroles de corruptions que l’ensemble des derniers présidents péruviens, avait mis le feu au poudre en 2010 et fait peu à peu accroître dans l’opinion l’idée d’une réintroduction de la peine de mort dans certains cas.

Quant au cardinal et primat du Pérou, l’opusien Cipriani, il n’a jamais caché son appui à la peine de mort, pour des « cas d’exception ». A l’instar du reste de son homologue australien, le cardinal australien George Pell, inculpé en 2017 pour… de multiples agressions sexuelles en Australie…

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