Henry-Louis Mermod et les écrivains qu’il a publiés, une galerie de portraits sur un ton très personnel


«Rondes de nuit», le titre de cet ouvrage fort original, se réfère bien sûr au célèbre tableau de Rembrandt.

PAR PIERRE JEANNERET

L’auteur explicite ce lien: «Il s’était toujours agi pour moi de la représentation d’une mystérieuse ronde de poètes.» Au centre de cette ronde, on trouve une personnalité fascinante: celle d’Henry-Louis Mermod (1891-1962), le «Gaston Gallimard suisse» dont Amaury Nauroy écrit la biographie et dresse un portrait psychologique.

On ne le confondra pas, comme c’est souvent le cas, avec Albert Mermoud, le fondateur de la Guilde du livre, que Mermod a cependant soutenue. Le personnage appartient à la grande bourgeoisie lausannoise éprise d’art. En même temps, il est un capitaine d’industrie, un redoutable négociant en métaux, richissime, élégant et mondain, voire un peu snob. Mais c’est l’éditeur inspiré qui restera dans l’Histoire. Et le mécène généreux, particulièrement pour Charles-Ferdinand Ramuz.

A l’instar des personnages de la Ronde de nuit et de ceux de la Recherche du temps perdu de Marcel Proust, on découvre dans ce livre le «petit clan» des amis artistes vaudois: Ramuz, Auberjonois, Casimir Reymond, Gustave Roud, Jacques Chessex, Philippe Jaccottet. Servi par une belle élégance de plume, à la limite parfois de la préciosité, qui a elle aussi quelque chose de proustien, Amaury Nauroy a écrit un livre qui repose sur un véritable travail de recherche littéraire. Mais l’ouvrage ne sent jamais le labeur ni le tâcheron. Il procède par touches, d’une manière que l’on pourrait qualifier d’impressionniste.

Peut-être cependant les pages consacrées à «Pipo», le fils d’Henry-Louis Mermod, un fils «pourri gâté», étaient-elles superfétatoires. L’auteur ne craint d’ailleurs pas les jugements féroces: ainsi le portrait assez «rosse» du théâtral Chessex, avec sa voix «pleine de componction dont il n’aurait su se départir», et dont Nauroy montre les ombres et les lumières. Ainsi, l’évocation de la dernière rencontre de Jacques Chessex avec Gustave Roud mourant est fort émouvante. On le voit, l’auteur se balade entre les ombres des grands défunts.

Une large place est accordée à Philippe Jaccottet, en sa demeure de Grignan, la localité proche de Valence où vécut Madame de Sévigné. Manifestement, l’auteur éprouve pour ce poète un respect quasi filial. Il en apprécie la modestie, le refus de la vanité et de «toute forme de médiocrité satisfaite». Jaccottet, au milieu de ses amis: il y a quelque chose de touchant et d’un peu suranné dans le langage et les relations sociales de ce petit cercle.

A l’une de ses interlocutrices, Amaury Nauroy a «su avouer [son] ambition d’écrire de tout petits portraits où [il] cherche à replacer les poètes parmi nous». Le pari est réussi.

Amaury Nauroy, «Rondes de nuit», Ed. Le bruit du temps, 2017, 287 pages

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2 commmentaires à “Henry-Louis Mermod et les écrivains qu’il a publiés, une galerie de portraits sur un ton très personnel”

  1. Micaela Piccolomini 11 mars 2018 at 15:53 #

    Les pages sur Pipo Mermod auraient été moins superfétatoires si on n’avait pas cantonné ce dernier à la catégorie du fils “pourri gâté”. Dommage qu’Amory Nauroy n’ait pas poussé un peu plus loin la recherche. Il aurait peut-être découvert les charmants écrits publiés par Pipo Mermod en tirage confidentiel “Histoires essentielles ou superflues (c’est tout selon…)”. Derrière un être un peu fantasque, mais ce n’est pas aisé d’être le fils de, on découvre une personne sensible et poétique. Pipo a fait partie du paysage de mon enfance, il avait le sens de l’amitié. Cette anecdote: il avait prêté une somme non négligeable à un ami mais celui-ci ayant fait de mauvaises affaires, il n’a jamais récupéré ses billes. Malgré cela il ne lui a pas retiré son amitié. Généreux pour un “pourri gâté”.

  2. Jeanneret Pierre 16 mars 2018 at 18:24 #

    Madame,
    Je prends acte de votre rectificatif. Vous noterez que je n’ai pas repris à mon compte les qualificatifs qu’utilise l’auteur à propos de Pipo Mermod, dont j’ignorais jusqu’à l’existence avant la lecture de ce livre. J’ai mis ces termes entre guillemets. Je vous remercie des précisions que vous apportez.

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