Comment le Sartrien Gérard Horst échappa à une mort certaine


Une lectrice de « La Méduse » réagit à l’article «Léon Savary contre les tartuffes».

PAR JEAN-PHILIPPE CHENAUX

Elle se félicite que cette grande figure du journalisme romand, alors correspondant parlementaire à Berne de la Tribune de Genève, ait contribué à éviter l’extradition en Allemagne de l’étudiant lausannois Gérard Horst, qui était né en 1923 à Vienne d’un père juif allemand.

Quelques précisions s’imposent. Gérard Horst, alias André Gorz, était entré à Belles-Lettres en octobre 1942, en même temps que Charles Apothéloz et Jean-Pierre Moulin, dont le fils Jean-François deviendra un filleul de Léon Savary. L’annonce de sa prochaine extradition provoqua un tollé bien compréhensible au sein de la société d’étudiants lausannoise. Réagissant au quart de tour, Léon Savary, toutes affaires cessantes, demande un entretien au chef de la Police fédérale des étrangers. Il entre dans son bureau un exemplaire de la “Tribune de Genève” à la main, « pliée comme un bâton ». A l’issue de l’entretien, il se heurte à un refus. Il frappe alors avec son « arme » en papier sur le bureau du fonctionnaire (ces « culs de plomb » comme il les appellera) et lui intime l’ordre de revenir à de meilleurs sentiments : « Monsieur le Directeur, je ne quitterai votre bureau que quand vous aurez signé la prolongation de séjour de Gérard Horst ». Il obtient instantanément gain de cause.

Ces faits ont été rapportés par le Bellettrien José Bovay à Tamara Leuenberger, auteur d’un mémoire de licence bien documenté sur Léon Savary (Université de Fribourg, 2008). Jean-Pierre Moulin, interrogé par cette étudiante à Lausanne fin avril 2006, apporte ces précisions : « Il était puissant. Je ne sais pas s’il est arrivé avec le journal, mais il a été reçu et il a dit : « Si vous mettez à exécution l’expulsion de notre ami Gérard Horst, je fais un scandale national, dussé-je y perdre ma place, ça m’est égal ! » Jean-Pierre Moulin ajoute que Savary a sauvé la vie de Horst, mais que celui-ci « ne lui en a été d’aucune façon reconnaissant ».

Le fait est que sans l’intervention courageuse et énergique de Léon Savary, Horst aurait fini sa vie dans un camp de concentration. Il sera secrétaire de la société lausannoise de Belles-Lettres en 1944-1945 et secrétaire central en 1945-1946. Licencié ès sciences en 1945, il publie ses premiers articles dans le journal de gauche “Servir”. Il s’établit en 1949 à Paris, où il collabore à “Paris-Presse” dès 1951 sous le pseudonyme de Michel Bosquet, puis à “L’Express” dès 1955. Il obtient la nationalité française en 1957. Fervent disciple et proche collaborateur de Sartre, il entre en 1960 au comité de direction de la revue “Les Temps modernes”, où il assume la responsabilité éditoriale dès 1969. Pour la suite de sa carrière, riche en aventures éditoriales et en coups de gueule écolo-fondamentalistes, on se reportera utilement à la biographie de Willy Gianinazzi, « André Gorz. Une vie » (La Découverte, 2016), parue neuf ans après que Horst et son épouse se fussent ôté la vie.

Pourquoi Gérard Horst n’a-t-il témoigné aucune reconnaissance à son frère de couleurs et grand aîné Léon Savary, en poste à Paris de 1946 à 1956, et de surcroît président de l’Association de la presse étrangère? Pour Jean-Pierre Moulin, cela tient au caractère de Horst; un caractère renfermé et secret, d’une froideur extrême. Personnage abstrait, il s’intéressait surtout à sa propre destinée intellectuelle et les préoccupations des deux hommes étaient à cent lieues les unes des autres.

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Un commentaire à “Comment le Sartrien Gérard Horst échappa à une mort certaine”

  1. christiane betschen-piguet 20 février 2018 at 11:56 #

    Merci à M. Chenaux de ces précisions intéressantes.

Répondre à christiane betschen-piguet

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