Qui peut me dire?


Paul Eluard écrivait: il y a des mots qui font vivre. Je serais tentée d’ajouter: il y a aussi des mots qui tuent!

PAR EMILIE SALAMIN-AMAR

Tels que ceux que j’entends ici ou là concernant le nombre croissant d’habitants de notre belle planète. Il paraîtrait selon certains experts que nous serions beaucoup trop nombreux sur Terre… Ah oui?

C’est alors que je me suis posé une question toute simple relative à la surpopulation de notre planète bleue. Ne voulant pas vous ennuyer avec une longue liste de chiffres, j’ai pensé que l’énumération suivante était sans aucun doute amplement édifiante et suffisante:

-Et si… Mao n’avait pas imposé aux millions de familles chinoises l’enfant unique lors de la révolution culturelle. Combien serions-nous à ce jour? Etait-ce judicieux ou avait-il tort de limiter les naissances dans son pays? Qui peut en faire le calcul? Qui pourrait me dire à combien de milliards la population chinoise se chiffrerait aujourd’hui? Je ne puis m’empêcher de penser, moi qui suis la cinquième de ma fratrie, que je ne serais pas de ce monde si j’étais née dans une famille chinoise! Ce constat fait, me voilà chanceuse d’avoir vu le jour sous le ciel de Paris.

-Et si… les pays riches industrialisés baissaient les prix des médicaments, des trithérapies, plus précisément, afin de lutter efficacement contre le sida en Afrique et dans bien d’autres pays du tiers monde. A quel surplus d’âmes la population mondiale devrait-elle faire face? Que doit-on faire, les sauver ou les laisser mourir à petit feu, dans d’atroces douleurs? Qui peut me le dire?

-Et si… dans le même registre, nous faisions preuve de solidarité envers les populations les plus démunies afin d’enrayer la mortalité infantile. Combien d’enfants auraient la chance de devenir adultes un jour? A combien de milliards se chiffrerait la population de notre belle planète? Doit-on vraiment continuer à laisser dépérir de pauvres petits enfants innocents par manque de soins? Qui peut oser me le dire? Qui?

-Et si… dans un ultime élan de générosité, nous luttions efficacement contre la faim dans le monde. Combien d’êtres humains devrait-on rajouter à notre comptabilité? Qui peut me dire si les millions de gens qui crèvent de faim n’ont pas le droit à la nourriture? Qui?

-Et si… nous arrêtions de polluer les fleuves, les sources, les rivières, les nappes phréatiques, les mers, combien de millions de personnes dans le monde pourraient enfin bénéficier d’un peu d’eau potable, au moins pour cuisiner, se laver? Combien d’êtres humains dans les pays défavorisés seraient épargnés par les maladies tueuses d’enfants et les terribles épidémies qui déciment petits et grands? Combien? Alors, que faut-il faire, les laisser nager en eaux troubles? Faut-il continuer à les condamner à une mort certaine due au choléra ou à la typhoïde, à la dengue ou au paludisme? Qui peut décider s’ils doivent avoir les intestins atrophiés, bouffés, rongés par des amibes et bien d’autres vermines? Qui peut prendre ce genre de décision en son âme et conscience sans avoir une ultime étincelle de lucidité, pour ne pas dire d’humanité? Qui?

-Et si… la sagesse venait enfin habiter les consciences, la paix régnerait enfin sur toute la surface de la Terre. Cela peut paraître utopique, mais j’ai bien le droit de rêver un peu, n’est-ce pas? Combien serions-nous? Combien? Qui peut affirmer haut et fort que toutes ces maudites guerres sont inévitables, pour ne pas dire, nécessaires? Qui peut le dire? Qui?

-Et si… la liste est encore très longue!

Et pour finir, qui peut oser me dire si moi, je suis surnuméraire? Au nom de quoi et de qui et surtout selon quels critères, quiconque peut prétendre, un jour, vouloir réguler la surpopulation mondiale? Rien que d’y penser, j’ai la nausée, car je crains des dérives, pour ne pas dire le pire! Je vous invite à faire un retour en arrière, je vous renvoie à vos mémoires, braves gens…

Qui peut s’octroyer le droit de vie ou de mort sur ses semblables? Des tyrans, des assassins, certes, mais en aucun cas de petites gens, comme vous et moi, des gens du peuple, des gens d’en bas. Les militaires de tous les pays se chargent depuis des lustres d’éliminer de la surface du globe, par le biais de guerres barbares, des millions et des millions d’êtres humains.

Qui peut me dire pourquoi? Et qui peut me dire jusqu’à quand?

Par ailleurs, n’oublions pas que la nature en furie se charge déjà d’éliminer certains d’entre nous…

(Extrait du recueil de sketchs «Papiers de soi, encres d’ailleurs», Editions Planète Lilou, 2011)

 

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Un commentaire à “Qui peut me dire?”

  1. Bernard Walter 8 mars 2018 at 07:54 #

    Chère Emilie, Il ne s’agit pas d’éliminer des êtres vivants (quoique: avec les animaux, nous ne nous gênons pas), mais de prévenir des naissances. (Si je pousse ton raisonnement, à chaque usage de préservatif, on élimine un humain.)
    Nous humains prenons trop de place. C’est aussi simple que cela.

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