Dans une lettre de lecteur publiée dans le quotidien « Le Courrier », Christian Mounir en appelle à garder un esprit critique face à la façon dont la politique mondiale nous est trop souvent présentée dans les médias. Avec la permission de son auteur, j’ai légèrement remanié cette lettre en en respectant tout le contenu. B. Walter
Dénoncer toutes les manœuvres
Il faut cesser de propager des visions manichéennes fondées sur l’émotionnel pour mieux masquer la réalité des intérêts en jeu et des « jeux » de pouvoir dans les conflits.
« Bachar Al Assad massacre son peuple ». Soit. Mais c’est le moment de rappeler que nos régimes si « démocratiques » n’ont jamais hésité à faire massacrer leurs populations, prenons-en pour exemple la guerre 14-18, ou à leur tirer dessus pour les mettre au pas, comme ce fut le cas en Suisse même, à Genève le 9 novembre 1932.
Et pas seulement ! Depuis l’avènement de l’impérialisme, ce stade dernier du capitalisme en guerre permanente dans le monde pour le contrôle des ressources matérielles et humaines et des « parts de marché », c’est une règle que les civils soient les principales victimes des guerres modernes. C’est là un des aspects les plus visibles de la barbarie engendrée par le capitalisme.
Ceux qui ont pilonné à coup de bombes incendiaires les villes allemandes, jeté des bombes nucléaires sur les villes japonaises, du napalm sur les villes et villages d’Indochine et des « superbombes» sur Bagdad et en Afghanistan, n’ont de leçons à donner à personne.
Pas plus que ceux qui, depuis qu’ils ont entrepris de dépecer l’Empire turc au début du XXème siècle, manipulent, trompent, trahissent et interviennent par tous les moyens pour empêcher les peuples de s’autodéterminer, renversant des gouvernements élus, liquidant des dirigeants pour les remplacer par des hommes de main, intervenant militairement ou jetant les forces locales et les peuples les uns contre les autres.
A Ghouta, la situation des populations civiles est dramatique, il n’y a pas de mots pour dire ce qui s’y passe. Ghouta est autant victime des bombardements russo-syriens qu’otage et bouclier humain des « opposants » que sont les djihadistes du Front Al-Nusrah, branche d’Al-Qaeda et les salafistes de Jaych al-Islam, proche également d’Al-Qaeda. D’autres groupes, moins importants, de radicaux islamistes existent. En dépit de leurs différences, tous sont essentiellement anti-chiites, anti-alaouites, très hostiles à l’Iran et très liés à l’Arabie Saoudite. Par divers canaux, ils sont également liés aux USA qui les financent secrètement, dans le but notamment de dépecer un peu plus la Russie en la rejetant hors du Moyen-Orient ! Etranges paradoxes que ces réalités de la géopolitique mondiale. Nous pouvons renvoyer ici au livre d’un architecte de la politique mondiale des USA de ces dernières décennies, conseiller à la sécurité nationale auprès de Jimmy Carter, Zbigniew Brzezinski. Ce livre au titre révélateur : « Le Grand Echiquier » montre « la situation paradoxale des États-Unis qui, pour maintenir leur leadership, doivent avant tout maîtriser le grand échiquier que représente l’Eurasie (Europe et Asie orientale), où se joue l’avenir du monde. (…) Cet ouvrage, paru en 1997, est très vite devenu indispensable pour comprendre la politique internationale. »(Citation tirée de Fayard Editeur). Le Proche-Orient fait bien évidemment partie de ce « grand échiquier ».
Comment comprendre une telle situation, où des groupes antagonistes ne cessent de produire des divisions groupusculaires sur fond de haines farouches et de se mener de constants affrontements les uns contre les autres ? Car c’est cela, le véritable état de « l’opposition au régime de Damas ». Tout ceci jette une lumière plutôt sombre sur un hypothétique avenir où ces groupes se disputeraient le pouvoir d’un « après Assad ». La présente situation est un avatar de la longue lutte pour la conservation de la prédominance occidentale au Moyen-Orient. Pour s’opposer au pouvoir éclairé et « féministe » – mais prosoviétique- de Najibullah, l’Occident a soutenu l’obscurantisme taliban et détruit l’Afghanistan ; pour endiguer le développement de l’Irak, (afin de « protéger » Israël) et prendre possession de son pétrole, l’Occident l’a détruit aussi, comme il a détruit la Lybie.
De manière générale, les affrontements inter-impérialistes ont mis le Moyen-Orient à feu et à sang depuis plus d’un siècle. C’est aujourd’hui le tour de la Syrie – et n’oublions pas le malheureux Yémen ! Et l’Iran est dans la ligne de mire….
Gardons-nous des jugements unilatéraux et conservons un regard critique et distancé sur les grandes manœuvres géopolitiques de l’impérialisme que viendront compliquer toujours plus les interventions des puissances néo-impérialistes que sont l’Arabie Saoudite, la Turquie, l’Inde et la Chine. Et dénonçons avec insistance et sans concession les manœuvres, toutes les manœuvres!
Christian Mounir