Retour sur les frappes occidentales contre le régime syrien en réaction à l’emploi présumé d’armes chimiques à Douma.
PAR ROBERT JAMES PARSONS
Les attaques aériennes contre la Syrie, dans la nuit du 13 au 14 avril dernier, menées par les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France s’inscrivent en droite ligne de leurs interventions illégales dans ce conflit qui ravage le pays depuis sept ans. De prime abord, ces frappes représentent une violation flagrante du droit international. Le Rapporteur spécial des Nations unies pour la promotion d’un ordre international démocratique et équitable, Alfred de Zayas, n’a pas mâché pas ses mots à ce sujet, ajoutant que les bombardements violaient également la Charte des Nations unies, le droit international et le droit interne des Etats-Unis.
Pour sa part, la Maison-Blanche s’est retranchée derrière une autorisation émise par le Bureau du conseiller juridique du Département de la justice. Particularité: ce document est classé secret. Même le Congrès n’a pu en prendre connaissance – son existence a été révélée grâce à une fuite.
Selon le Rapporteur spécial, Bachar al-Assad n’aurait aucune raison de lancer une attaque aux armes chimiques alors qu’il est en train de gagner la guerre civile. Au contraire, indique M. de Zayas, une telle action n’aurait d’autre but que de créer le prétexte à une nouvelle intervention militaire par les Etats-Unis. Même son de cloche chez Peter Ford, ancien ambassadeur britannique à Damas et fin connaisseur de la région, qui, dans une entrevue à la BBC, a enfoncé le clou. M. Ford est convaincu que l’attaque aux armes chimiques relève de la mise en scène – précisément pour justifier une telle intervention. Et de relever trois points primordiaux qu’il a répétés depuis dans plusieurs entretiens.
Tout d’abord, il n’y a eu aucune enquête indépendante, en violation flagrante des dispositions de la charte de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) dont tous les Etats impliqués sont membres. Les experts de cette organisation devaient débarquer en Syrie samedi matin.
Ensuite, selon l’ancien ambassadeur, tous les témoignages dont on dispose jusqu’ici proviendraient de deux organisations humanitaires, la Syrian American Medical Society, et les White Helmets («Casques blancs»), que Peter Ford qualifie d’«entités pro-islamistes» respectivement basées aux Etats-Unis et au Royaume Uni.
Le troisième point est que les jihadistes, ayant réussi à provoquer une intervention militaire, seraient incités à récidiver prochainement. Par ailleurs, Nikki Haley, ambassadrice des Etats-Unis auprès des Nations unies, a déclaré sans ambages devant le Conseil de sécurité de l’ONU que son pays était prêt à intervenir plus fortement si la Syrie et ses alliés ne se pliaient pas aux exigences de la superpuissance.
Comme les forces russes sont embrigadées aux côtés des forces syriennes, notamment en matière de défense aérienne, une telle position pousse dans le sens d’une confrontation directe entre les deux puissances nucléaires. Pourtant, les Etats-Unis, avec près de 2000 soldats et on ne sait combien de mercenaires, entretiennent une présence illégale en Syrie. Et les bases qu’ils y construisent représentent à n’en pas douter l’intention de soumettre le pays à une occupation militaire de longue durée, sinon permanente.
Concernant les récentes frappes occidentales, les récits diffèrent selon la version du Pentagone ou les variantes proposées par les autorités russes et certains analystes indépendants. Selon le Pentagone, l’action aurait impliqué 105 missiles sur trois cibles. Selon d’autres sources, confirmées par les autorités russes et syriennes, il y aurait eu jusqu’à huit cibles et presque tous les missiles auraient été interceptés et détruits.
L’analyste indépendant anglais Dai Williams, spécialiste des armes à l’uranium, indique que l’essentiel des missiles utilisés par la coalition occidentale seraient dotés d’ogives à l’uranium (appauvri ou non). Pyrophore [qui s’enflamme spontanément au contact de l’air], l’uranium brûle à 6000°C, se transformant en poussières microscopiques qui restent radioactives pendant 22 milliards d’années. Pour traquer ces particules, Dai Williams s’est servi du site interactif de l’Administration nationale étasunienne pour les océans et l’atmosphère (NOAA) pour simuler le mouvement des vents à la suite des bombardements. Les panaches de fumée ainsi répandus autour des zones touchées auraient transporté, selon le chercheur, entre 36 et 80 tonnes de poussière d’uranium.
La NOAA surveille de son côté les utilisateurs de son site et l’usage qui en est fait. Ceux qui, comme M. Williams, s’en servent régulièrement finissent par être connus et leur travail surveillé. En revenant sur le site dimanche, il a découvert que toutes les données sur la Syrie fournies samedi, qui en principe font partie des archives permanentes du site, avaient disparu.
Article paru dans « Le Courrier » du 18 avril 2018