Une étude fort intéressante sur les bâtiments de la Genève internationale


Ce livre intéressera au premier chef les Genevois. Mais il faut dire d’emblée que son intérêt dépasse de loin les frontières cantonales.

PAR PIERRE JEANNERET

En effet, l’auteure se penche sur diverses problématiques liées à la construction: problèmes strictement architecturaux de fonctionnalisme et d’esthétique, mais aussi financiers, politiques, de rapports entre les institutions internationales et les autorités municipales, d’intégration dans le tissu des quartiers urbains.

L’ouvrage est doté de nombreux plans, dessins, esquisses et richement illustré par des photographies. Joëlle Kuntz a choisi de présenter une quinzaine des bâtiments les plus importants, parmi les centaines qui abritent des organisations internationales. Les exemples retenus sont emblématiques des questions évoquées ci-dessus.

Tout commence en 1920, quand Genève est choisie pour être le siège de la Société des Nations. L’érection de bâtiments prestigieux qu’induit ce choix exige d’abord l’achat de grands domaines au bord du lac sur la rive droite. Le premier édifice considéré par l’auteure est le Palais Wilson, construit entre 1873 et 1875 dans un style néo-Renaissance. Palace en faillite, il fut occupé par la SdN et baptisé de son nom actuel en 1924, à la mort du président américain. On lui adjoignit en 1932 le Pavillon du désarmement, premier exemple à Genève de l’architecture rationaliste en métal et verre. Le Palais Wilson abrite aujourd’hui le Haut Commissariat aux droits de l’homme.

Le Centre William Rappard est actuellement le siège de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Il fut construit dans les années 1920 comme siège du Bureau international du travail (BIT). Si le bâtiment initial reste très classique, monumental et pompeux dans le goût du temps, l’annexe contemporaine de 2013, toute de verre, est résolument moderniste.

Le débat architectural sans doute le plus intéressant et le plus vif eut lieu en 1927 à l’occasion du concours pour un Palais des Nations. Parmi les 377 projets (dont plusieurs sont illustrés dans l’ouvrage), on en trouve de grandiloquents et néo-classiques, de résolument hideux, de colossaux et entourés des colonnes qui alors s’imposaient pour un «palais» …et d’avant-gardistes. Parmi ces derniers, celui des architectes suisses Hannes Meyer et Hans Wittwer, et celui de Le Corbusier et de son cousin Pierre Jeanneret. Quand on considère ce projet aujourd’hui encore, il paraît d’une extraordinaire modernité, unissant fonctionnalisme, ouverture à la lumière, acoustique, circulation, et beauté esthétique. Son refus ulcéra le célèbre architecte qui déclencha un scandale international.

On regrettera seulement que Joëlle Kuntz n’ait pas mentionné le livre célèbre de Le Corbusier qui allait naître de cette polémique: Pour une architecture, qui est une descente en flammes de l’architecture traditionnelle décorative et un plaidoyer en faveur de la pureté des lignes et du fonctionnalisme hérités de la Grèce antique ou de la construction des paquebots.

Le Palais des Nations, achevé en 1937, est donc dans le goût monumental très à la mode en ces années 30, à l’instar du Trocadéro à Paris… ou du Palais de Beaulieu à Lausanne.

Mentionnons le fait que l’auteure accorde une place non négligeable, pour tous les bâtiments qu’elle revisite, à l’architecture intérieure et aux oeuvres d’art qui les ornent. Ainsi la peinture murale de Maurice Denis, La Dignité au Travail, pour le BIT (1931) ou le plafond de la salle des droits de l’homme par Miquel Barceló.

Il n’est certes pas possible de rendre compte ici de tous les édifices étudiés. Arrêtons-nous sur quelques exemples significatifs. On relèvera les tribulations qu’a connue la Place des Nations, sans doute moins miteuse aujourd’hui qu’elle ne le fut auparavant, mais toujours enserrée dans la circulation automobile.

Avec le bâtiment de l’Union internationale des télécommunications (UIT) émerge en 1962 une verticalité longtemps honnie à Genève. Pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le projet de l’architecte suisse Jean Tschumi triomphe. Sobre et élégant, le bâtiment de 1966 est largement fait d’aluminium, un métal peu utilisé jusqu’alors en architecture. Il peut être considéré comme le chef-d’œuvre des années 60, à l’instar du siège de Nestlé à Vevey, également conçu par lui.

A l’occasion de divers projets de nouveaux bâtiments, on constate que les Genevois sont très attachés aux rives de leur lac. Pour éviter la confrontation avec la population, les édiles proposent à plusieurs reprises un déplacement de ces projets vers les hauteurs surplombant le Léman.

«Finalement, les modernistes ont eu raison des classiques», résume l’auteure. Et cela dans les années 1950-1965. On constate aussi l’influence de modèles étrangers, notamment américains. Ainsi, le vitrage du siège de Ford à Detroit a inspiré le «cristal bleu» du bâtiment de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (Ompi), conçu dans les années 70 par Pierre Braillard, issu d’une famille d’architectes genevois renommés.

Le bâtiment de 1999 dévolu à l’Organisation météorologique mondiale (OMM) est considéré comme le plus novateur de sa décennie. Tout en ovales et en courbes, il est d’une grande élégance.

On notera aussi l’intégration fort réussie de la Maison de la paix, qui abrite l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID), dans un espace a priori laid et étroit, en bordure des voies de chemins de fer. Le résultat du concours d’architecture lancé en 2008 constitue un bel ensemble de quatre «pétales».

Quant au site de l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (Cern), il se caractérise, lui, par un minimalisme architectural: en fait, c’est un conglomérat de 670 constructions sur l’ensemble du site franco-suisse. Se distingue du lot le Globe de la science et de l’innovation, sphère de bois monumentale conçue pour l’Exposition nationale suisse de 2002 à Neuchâtel et offerte par la Confédération au Cern.

La population genevoise a-t-elle totalement «digéré» et intégré ces constructions? On peut parfois en douter. Ressenties comme trop modernes ou trop verticales, plusieurs d’entre elles ont provoqué des mouvements de protestation. Comme le rappelle Joëlle Kuntz, longtemps «la grandeur n’a été bienvenue que couchée. La cathédrale, seule, avait un droit d’élévation.»

On peut considérer qu’aujourd’hui encore, la «cité mondiale» reste un peu en marge de la vie des Genevois et du tissu urbain de la ville chère à leur cœur.

Joëlle Kuntz, «Genève internationale. 100 ans d’architecture», Genève, Slatkine, 223 pages

Domaine Public

Tags: , , , , , , , , , , ,

Mentions légales - Autorenrechte

Les droits d'utilisation des textes sur www.lameduse.ch restent propriété des auteurs, à moins qu'il n'en soit fait mention autrement. Les textes ne peuvent pas être copiés ou utilisés à des fins commerciales sans l'assentiment des auteurs.

Die Autorenrechte an den Texten auf www.lameduse.ch liegen bei den Autoren, falls dies nicht anders vermerkt ist. Die Texte dûrfen ohne die ausdrûckliche Zustimmung der Autoren nicht kopiert oder fûr kommerzielle Zwecke gebraucht werden.