Dans le plus grand camp de réfugiés au monde


Bidi Bidi était une petite bourgade paisible du nord-ouest ougandais jusqu’en août 2016. Entre cette période en aujourd’hui, le village s’est transformé en gigantesque camp de réfugiés en provenance du Soudan du Sud. D’une superficie supérieure à 250 Km2, il accueille près de 300’000 personnes qui ont fui la guerre civile. Récit.

TEXTE ET PHOTOS YANIK SANSONNENS, reportage à Bidi Bidi

Il a été dit que plus de 1,5 million de réfugiés se trouvaient sur le territoire ougandais, c’était avant le scandale qui a éclaté quelques jours avant mon arrivée dans le camp de Bidi Bidi. Les autorités locales sont accusées, entre autres, d’avoir gonflé le nombre de réfugiés et de lancer des projets fantômes d’écoles et de routes afin d’obtenir plus de fonds de la communauté internationale. Les médias évoquent aussi le détournement d’argent destiné aux réfugiés, l’obligation pour ces derniers de payer des pots-de-vin pour être enregistrés ainsi que la traite d’adolescentes forcées au mariage. Cyniquement, on pourrait exprimer son étonnement qu’un pareil scandale n’éclate qu’en février 2018, alors que des réfugiés de plusieurs pays affluent depuis des années…

Suite à ce prologue réjouissant, je vais raconter ce que j’ai vu et vécu dans cet immense camp. Ayant pris contact avec l’antenne locale de Caritas, j’ai pu accompagner une équipe sur place le premier jour. Après deux heures de voiture depuis la ville d’Arua située à 80 kilomètres, nous pénétrons dans le camp à une allure modeste, car la piste de terre battue n’est pas très régulière. Les employés de Caritas veulent se rendre dans la zone 3 (il y en a cinq en tout) pour y distribuer des coupons alimentaires. Les secousses sont quasi permanentes mais j’ai connu pire en matière de chaussée. En cette fin de saison sèche, la terre est arride, la végétation est roussie et la chaleur assommante. Benjamin, le gestionnaire de programme chez Caritas, vient couper court à mon observation somnolente : “Nous allons identifier des personnes très nécessiteuses qui recevront des poulets, grâce aux coupons que nous leur distribuerons”. 

Je regarde par la fenêtre et suis interloqué par l’importante surface de terre brûlée. Je pose la question à Amos, assis à côté de moi, sur la banquette arrière. “Les gens brûlent la brousse parce que ça repousse ensuite plus vert. Après avoir été incendiés, les arbres tentent de se régénérer et l’herbe nouvelle qui sort de terre est très bonne pour les animaux. Cette pratique a également pour but de chasser les serpents. Il y en a beaucoup dans la région et ils sont venimeux”. Nous nous arrêtons enfin. Les serpents seraient en quête de fraîcheur, sans grand succès visiblement puisque j’en ai vu quelques-uns. Quant aux scorpions, peut-être qu’on les aperçoit parce qu’ils sont belliqueux et veulent me défier. J’étais prêt, mais l’affrontement n’a pas eu lieu. Ils se sont défilés les pleutres, allez savoir pourquoi. Probablement que ma couleur de peau, rouge écrevisse, les a terrifiés. 

Les enfants s’amusent avec des morceaux de bois et des cailloux. Curieux, ils s’approchent et nous regardent avec des yeux rieurs. Des femmes ainsi que d’autres enfants pompent de l’eau tandis que des homme s’échinent à la pioche sur un bout de tronçon. On arpente, avec Benjamin et son collègue Moses, les méandres formés par les huttes des réfugiés. Je demande à Moses de me parler un peu de lui. “Avant d’oeuvrer pour Caritas en Ouganda, j’étais au Soudan du Sud, pas très loin d’ici. Les atrocités de la guerre m’ont horrifié et vu que cela devenait pénible à vivre et dangereux, j’ai voulu être muté. Ici, je peux aussi être utile tout en bénéficiant d’un meilleur cadre sécuritaire”, explique-t-il. Certains gosses nous ont suivis et d’autres ne tardent pas à les rejoindre. J’entends “Mzungu, Mzungu”, (ndlr. homme blanc. Le terme s’applique également aux femmes). Je me retourne brusquement, ils s’arrêtent soudainement. Ayant besoin de me dégourdir les jambes, je me précipite vers eux en courant. Ils fuient à toute vitesse, non sans éclater de rire. Je stoppe mon effort, eux aussi. Ils me fixent à nouveau, d’un air espiègle. Au bout de quelques secondes, on recommence et ainsi de suite pendant une dizaine de minutes. Suant à grosses gouttes et un peu essoufflé, je mets un terme au jeu. 

En chemin pour retrouver Moses et Benjamin, une femme m’interpelle “Ça va Mzungu ? Je t’ai vu jouer avec les gamins. Mon fils était parmi eux”. Je marche dans sa direction et lui demande si je peux sortir mon enregistreur pour une petite interview. Elle accepte. “Nous sommes ici depuis deux semaines, en provenance de Yei au Soudan du Sud. Les violences devenaient quotidiennes, c’était insoutenable, ils ont tué mon frère… Heureusement qu’on nous a fourni de l’aide et accueilli dans ce camp que j’aimerais quitter au plus vite, afin d’être indépendante de l’aide humanitaire et travailler à nouveau, comme je le faisais dans mon pays. Les terres ne sont pas arables dans le coin et il n’y a aucune perspective professionnelle”, raconte-elle. 

Je prends congé et me mets à la recherche de Moses et Benjamin que je localise au bout de quelques minutes. Ils sont empêtrés dans la comparaison de plusieurs listes de potentiels bénéficiaires de leurs coupons alimentaires. Il faut être rigoureux pour éviter que certains se voient octroyer deux coupons alors que d’autres n’en ont aucun. J’ai conscience que ma présence ne les aidera pas à accélérer le processus, je décide donc d’aller faire un tour et de prendre quelques photos. D’autres bambins se dirigent vers moi. Je n’ai plus trop envie de leur courir après compte tenu de la chaleur étouffante, j’opte alors pour une petite danse, sans fond sonore. Pas évident d’être crédible, surtout devant des Africains. L’objectif est néanmoins atteint : l’assistance est pliée en quatre.

Je retourne ensuite vers Benjamin car je souhaite en savoir un peu plus sur les activités de Caritas dans le camp. “On distribue des couvertures, des semences, des ustensiles de cuisine, on leur apprend à préparer du pain, à bien isoler leur maison, à exploiter au mieux leur parcelle de terre, etc. Sans oublier les formations accélérées de trois à six mois hors du camp, dans les métiers du bâtiment et la réparation de véhicules, notamment”, précise-t-il. Un quart d’heure plus tard, nous reprenons la route. On entend de temps à autre de la musique, quelques échoppes chancelantes se dressent ici et là, des poulets déambulent en attendant d’être grillés. À peine sortis de la voiture, nous voyons des enfants se dresser devant nous, pleins d’entrain. Je me dis qu’il faut être imaginatif et trouver un autre moyen de les divertir. Des grimaces feront l’affaire. La plupart s’esclaffent, mais une poignée, les plus petits, prennent la poudre d’escampette. On quitte le camps vers 16h15.

De retour dans la petite ville de Yumbe, à proximité du camp, je fais la connaissance dans un bar d’un membre d’une ONG, qui tient à demeurer anonyme. “Le gouvernement ougandais se pavane ostensiblement avec sa politique d’accueil des réfugiés qui est, certes, généreuse. Cependant, il ne faut pas occulter le fait que 20 à 25% des ressources financières des ONG destinées à l’aide sur le terrain sont prélevées par les autorités et cet argent n’est pas investi dans le secteur public, mais alimente les comptes en banque privés des potentats au pouvoir”, affirme-t-il. La discussion a été très intéressante et ma foi assez sérieuse, même après quelques bières.

Le lendemain matin, je prévois de retourner dans le camp avec un chauffeur de boda boda (ndlr. moto-taxi). Auparavant, je me rends au bureau de l’ONG Oxfam avec pour finalité de savoir où vit Sarah, une réfugiée qui a créé une association d’artisanat dans le camp. Une employée de l’ONG l’a prise en photo et a rédigé un court texte que je me suis procuré en faisant des recherches sur internet. Elle devrait résider dans le village 1, 2 ou 3 de la zone 1. C’est parti pour 35 minutes à moto. Suite à l’ingestion de quelques kilos de poussière, nous arrivons sur place. Renseignement pris, quelqu’un nous guide vers son habitation. 

Une jeune femme prénommée Molly nous adresse la parole : “Si vous cherchez Sarah, vous ne la trouverez pas ici. Elle a été hospitalisée hier, mais j’ignore où exactement”. Elle est une de ses amies et fait partie de l’association d’artisanat. Je cherche un endroit plus ou moins ombragé pour entamer une discussion. Ma tête ne sera pas exposée au soleil, mes jambes oui. Molly s’exprime. “Au sein de l’association, nous avons d’abord commencé par produire des bracelets, des colliers et des boucles d’oreilles que nous vendons dans le camp. On a gagné un peu d’argent, ce qui nous a permis d’acheter du savon et du sucre pour nos enfants, sans oublier qu’il faut leur fournir des livres. Lorsqu’on est arrivé, on souffrait beaucoup. Des membres d’Oxfam nous ont montré comment créer de jolis bracelets, des colliers et des porte-monnaie. Ça va mieux maintenant. Ils nous ont aussi appris à fabriquer du savon liquide. Le grand défi pour notre association est sa commercialisation car c’est impossible de le vendre rapidement, même en traversant les pâtés de maisons de plusieurs villages. Il n’y a pas d’argent dans le camp. On peut seulement gagner de 2000 à 5000 shillings (ndlr. entre 50 centimes et 1 franc 30). Si nous sommes soutenues pour développer notre activité, ça ira mieux. Des organisations qui travaillent dans les dispensaires pourraient venir et acheter notre savon liquide, sur son lieu de fabrication”, espère-t-elle. Molly et ses deux enfants ont trouvé refuge dans le camp, mais son mari réside toujours au Soudan du Sud avec son bétail. En venant ici, il devrait l’abandonner et perdrait donc tout revenu. Avant de m’en aller, Molly souhaite me montrer une autre chose très utile qu’elle sait désormais faire : des serviettes hygiéniques réutilisables. Ingénieux. 

Je repars à moto pour un trajet de 40 minutes (poussière bis) jusqu’à la zone 4 où j’ai rendez-vous (plus d’une heure et demie de retard, sic) avec Hélène, la coordinatrice projet de Médecins Sans Frontières (MSF). Heureusement qu’elle ne m’a pas attendu et a continué de vaquer à ses occupations. Elle me reçoit à l’hôpital Bolomoni, construit par l’ONG qui la salarie. “Initialement, c’était un dispensaire sous tente. Nous avons depuis effectué des travaux et nous bénéficions désormais d’une structure solide disposant de 40 lits, avec notamment une salle d’urgence, une chambre d’isolement pour les malades contagieux, une maternité et une petite unité psychiatrique. Notre équipe traite majoritairement des patients souffrant de problèmes respiratoires et/ou qui ont contracté la malaria. Nous déplorons de nombreux décès dans le camp parce que nous avons affaire à une population peu habituée à se rendre dans des établissements de soins et quand bien même certains malades veulent se déplacer, cela reste compliqué dû aux importantes distances. Nous pouvons intervenir directement chez eux, mais à cause du réseau téléphonique déficient, il est parfois difficile de les joindre pour les localiser”, dit-elle. Je visite ensuite l’hôpital, croise le personnel et quelques patients avant de reprendre la route, à moto. La poussière me manquait…

 

 

 

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