Derrière le cas Broulis, se pose aussi la question de l’équité fiscale envers d’autres contribuables, l’exemple d’un ex-diplomate suisse


Un ex-diplomate se lance dans un combat contre sa commune de Montreux, l’Administration cantonale des impôts et le Tribunal cantonal. 

PAR EDGAR BLOCH

Fait-on preuve d’une déférence particulière dans les cantons romands, et lémaniques en particulier, envers les «hommes forts» des gouvernements cantonaux, au détriment des simples quidams? Alors que l’affaire Maudet n’en finit pas de défrayer la chronique à Genève, les phares de l’actualité devraient être très prochainement davantage braqués sur Pascal Broulis en terre vaudoise. C’est à la fin de ce mois que le Conseil d’Etat avait promis de publier les résultats de l’audit de l’inspection fiscale des déclarations d’impôt du ministre cantonal des Finances pour 2009, 2014, et 2015, suite aux fuites dans la presse relative au soupçon quant à ses préférences fiscales pour sa commune de Sainte-Croix, alors qu’il réside avec famille à Lausanne. Les déductions pour ses frais de transport seront aussi passées à la loupe. C’est peut-être ce mercredi 30 mai 2018, jour de séance du Conseil d’Etat et dernier jour du mois, que l’on en saura davantage sur ce dossier. 

La Fontaine l’écrivait «selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir».  Au-delà de l’aspect juridique, l’aspect moral et donc politique entre également en considération dans ces affaires. Dans le canton de Vaud, l’équité fiscale doit s’appliquer en premier lieu à celui qui en a la charge politique et le contrôle administratif. Faute de quoi, d’autres contribuables peuvent en effet avoir des raisons légitimes de se sentir maltraités, en comparaison de l’auteur de «L’impôt heureux».

La séparation des pouvoirs en cause

C’est le cas de ce diplomate à la retraite, rompu aux négociations les plus difficiles menées dans les années 90 par la Confédération, établi sur les hauts de Montreux. Pugnace et déterminé, celui-ci a entamé un combat en solitaire contre sa commune et son syndic Laurent Wehrli, l’Administration cantonal des impôts (ACI) et son chef politique Pascal Broulis. Il conteste également la compétence du Tribunal cantonal vaudois, même si celui-ci a fini par lui donner raison dans son recours en 2016: notre homme lui fait grief de ne pas prendre position, contre les nombreux manquements qu’il dénonce dans cette affaire, allant même jusqu’à mettre en cause la séparation des pouvoirs.

Une affaire qui traîne maintenant depuis presque huit ans. A fin octobre 2010, le couple propriétaire d’un bien annonce en bonne et due forme son départ à la commune de Montreux pour un séjour illimité hors de Suisse, au Sénégal précisément. L’ex-diplomate et son épouse restent assujettis de manière limitée en qualité de propriétaire d’immeuble.

Problème, en décembre 2013, l’Office de la population de ladite commune annonce par courrier postal à leur adresse de Montreux leur inscription d’office en résidence principale qui évidemment ne parviendra pas aux intéressés absents et restera sans réponse.

Une affaire compliquée

De retour en Suisse en avril 2014, l’ex diplomate assure avoir remis personnellement des informations précises à l’Office de la population de la Commune de Montreux quant à son enregistrement à l’Office de la population. 

Le réexamen de l’affaire ne semble toutefois guère envisagé, l’Office d’impôt des districts de la Riviera/Pays-d’Enhaut, soumet le 21 mai 2014 la décision de 2013 de la commune de Montreux à l’Administration cantonale des impôts (ACI) en vue de déterminer le domicile fiscal du couple.

C’est désormais l’ACI qui a le dossier en mains et qui invite l’ex diplomate à se mettre en contact avec lui. L’affaire est compliquée aussi parce que cet ex-diplomate, habitué à donner des cours et effectuer des mandats dans des universités et des hautes écoles hors de Suisse s’est fixé désormais avec sa femme en Thaïlande à fin 2013. Alors que l’ACI affirme que l’ex-diplomate ne donne jamais de réponse à ses injonctions, celui défend au contraire l’avoir fait constamment. 

Un courrier indigné envoyé à Broulis

Ce dialogue de sourd et sans fin s’envenime à nouveau, puisque d’octobre à avril 2014, le couple réside en Thaïlande et qu’en janvier 2015, l’ACI se détermine en faveur de son imposition à Montreux pour 2013 et 2014 par courrier postal, une nouvelle fois en son absence. L’époux fait finalement opposition à l’ACI, non sans s’indigner, fin avril 2015, auprès de Pascal Broulis, du manque de réponse de l’ACI à ses explications, à sa taxation d’office alors qu’il réside à l’étranger. Le conseiller d’Etat réplique quelque jours plus tard qu’il «n’intervient pas dans la détermination du domicile principal» et se plaint également du ton discourtois employé contre le fonctionnaire en charge du dossier à l’ACI.

Le 6 novembre 2015, une nouvelle fois par courrier postal et non par courrier électronique, la directrice de l’ACI invite le couple, qui réside à l’étranger, à rencontrer un fonctionnaire de l’ACI ; en outre, elle affirme à tort, selon l’ex-diplomate, qu’un questionnaire-type lui a été adressé et est resté sans réponse.

Le recours finalement admis

Courriers et injonctions se perpétuent. L’ACI transmet finalement toute la correspondance de l’ex-diplomate à la Cour compétente du Tribunal cantonal début mai 2016. La procédure de recours est avalisée le lendemain par le juge.

Au terme de nouveaux échanges, de courriers divers restés sans réponse en raison du séjour du coupe en Thaïlande – l’ACI ne communiquant toujours pas par courrier électronique – et d’une nouvelle missive de plaintes adressée à Pascal Broulis, le recours est finalement admis le 3 octobre 2016 par le Tribunal et la décision de l’ACI et de la Commune de Montreux sont annulées.

Mais le combat n’est pas fini et laisse des traces. L’ex-diplomate estime que les juges sont restés superficiels dans leur arrêt. Reproche principal, « ils n’ont pas pris position sur la mauvaise foi de l’ACI et des délais impossibles à respecter compte tenu de nos absences, mais stigmatisent injustement notre attitude ». Le reproche d’arbitraire, voire de violation de séparation des pouvoirs, pleut. Le Grand Conseil même a été saisi. A la veille possible du jugement politique et moral porté par le gouvernement vaudois sur le comportement de l’un de ses membres, cette affaire valait la peine d’être rapportée. Déterminé, l’ex-diplomate n’entend pas en rester là. Il se dit prêt à porter l’affaire même tôt ou tard devant le Parlement fédéral, car, affirme-t-il « le comportement très douteux des Autorités vaudoises porte atteinte à la crédibilité de la Suisse. »

Etabli sur les hauts de Montreux, l’ex-diplomate a entamé en 2010 un combat en solitaire contre sa commune. Photo le Médusé-archives

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