La Suisse, le Mercure et la Colombie


Peut-on imaginer une sortie du mercure, cet élément hautement toxique?

PAR CHARLOTTE ROBERT

En Suisse? En Chine, le plus gros pays producteur? Ou en Colombie où nous avons rencontré des paysans qui ne disposent que d’une eau polluée par le mercure utilisé par Glencore dans ses mines?

Depuis le 1er juillet 2018, l’exportation de mercure de Suisse est interdite, sauf pour les lampes à décharge, les machines de soudage en continu et les amalgames dentaires. Pour les deux premiers usages l’exception se terminera à fin 2020, et pour les amalgames dentaires à fin 2027. L’exportation de plusieurs dizaines de tonnes dans les pays en développement et utilisées sans aucune précaution pour la population prendra donc totalement fin dans neuf ans et demi.

La Suisse joue par ailleurs un rôle-clé dans ce secteur: à Wimmis, dans le canton de Berne, une usine de la société Batrec (qui fait depuis 2005 partie de la multinationale française Veolia) distille et recycle le mercure – et bien d’autres métaux dangereux. Construite en 1994 déjà, c’est l’une des plus importantes de la planète. Actuellement, 95% du mercure retraité en Suisse vient de l’étranger, principalement en provenance de pays asiatiques et africains. La Convention de Bâle a eu un effet majeur en interdisant aux pays industrialisés d’expédier leurs déchets dans le tiers-monde.

Comme la Suisse, la Chine a ratifié la convention de Minamata qui vise l’élimination complète du mercure. Et Dieter Offenthaler, directeur de Batrec, a bon espoir de voir les Chinois respecter leurs engagements et fermer leurs mines de mercure. Selon lui, on trouve encore des mines illégales au Mexique et en Indonésie, mais de peu d’importance. L’approvisionnement devient donc de plus en plus difficile.

Qu’en est-il en Colombie? Ce pays a signé la convention de Minamata, mais ne l’a pas encore ratifiée. Cependant, il a interdit l’usage du mercure à partir du 1er juin dernier. Quel substitut les exploitants des mines d’or, de charbon et les forages pétroliers vont-ils utiliser? Et vont-ils être astreints à nettoyer leurs sites?

La recherche de l’or constitue le secteur le plus important parce qu’il y a beaucoup de mines artisanales dans des régions pauvres. Il faudrait que ces mineurs puissent recevoir de l’aide pour changer de technologie.

En ce qui concerne les mines de charbon, les informations sont contradictoires. Certains prétendent que le mercure n’est pas indispensable pour les forages. Un ingénieur travaillant pour Glencore m’a dit que la magnétite était maintenant utilisée pour séparer le charbon des résidus. Moi j’ai vu, dans le nord du pays, des paysans colombiens qui vivent près de la mine de Cerrejon et n’ont pas accès à l’eau potable. Glencore, la multinationale suisse propriétaire, a résolu ce problème pour ses cadres en construisant un barrage en amont de la mine et en détournant l’eau potable pour remplir les piscines de ses employés et de l’hôtel destiné aux visiteurs. Au-delà du barrage l’eau de la rivière et de ses affluents est contaminée.

Et le nettoyage des sites? Les entreprises minières y seront-elles astreintes? La Suisse a vécu un traumatisme avec la Lonza et le mercure dans le Haut-Valais: 250 cas de maladie dus au mercure ont été recensés, un effectif probablement très inférieur à la réalité. Et la dépollution n’est pas parfaite.

Malgré l’accord de paix signé en 2016 avec les Farc, de nombreux paysans colombiens n’ont pu récupérer leurs terres. L’ancien président Santos s’est hâté de les vendre aux multinationales pour qu’elles puissent explorer le pétrole et le charbon. Nombre de cultivateurs ont été expulsés. Pour l’an dernier, l’International Displacement Monitoring Center a annoncé 139’000 nouveaux déplacés par les conflits et par les «large-scale land acquisitions for development projects» (acquisitions à grande échelle de terres pour des projets de développement).

Ces 139’000 déplacés s’ajoutent aux 7,6 millions de réfugiés internes colombiens, ce qui fait que ce pays recense le plus grand nombre de personnes déplacées, davantage même que la Syrie. Et le tandem Duque-Uribe au pouvoir à la suite des élections du 17 juin dernier manifeste encore plus de mépris pour les paysans, les Indiens, les Noirs et les pauvres en général que l’ancien gouvernement Santos.

Dans ces conditions, la seule action utile et possible depuis la Suisse reste la mise en œuvre de l’initiative pour des multinationales responsables, en suspens devant le Parlement qui reconnaît l’importance du problème soulevé (DP 2209) et cherche le moyen d’y donner indirectement suite.

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