Moi, Joël Cerutti, atteste que tu auras lu cet article jusqu’à la fin


Les validations, les attestations, les certificats enrichissent les CV. L’époque les réclame, les participant.e.s à des stages ou des ateliers aussi. J’aurais comme un peu beaucoup énormément tendance à m’en méfier. Et je ne suis pas le seul.

PAR JOËL CERUTTI

Même à l’ère du numérique, le papier compte. Il certifie que, il garantit que, il couronne que… Que quoi ? Que tu as bien apporté ta carcasse en un lieu donné. Que tu as consacré un certain temps à une activité quelconque. Que tu as répondu aux exigences posées. Que tu es resté jusqu’au pot final. Hier, j’ai vu passer une demande d’attestation pour… un atelier d’écriture. En gros, nous devions figer noir sur blanc que la personne en question avait manié la plume et trituré son imagination quelques heures durant.

Cela m’a interpellé sur mon rapport à ce genre de papelard.

J’en possède assez peu, des attestations. J’ai travaillé, par exemple, douze ans au Nouvelliste et, au final, il en reste trois lignes qui fixent les dates de ma collaboration sur une feuille A4. À la décharge de ses rédacteurs, lorsque j’ai dû réclamer ce papier en 2013, ils ne me connaissaient plus ! Voici vingt ans, lorsque j’avais quitté la rédaction, il ne m’était même pas venu en tête d’en demander un… Comme il n’existait pas de RH dans l’entreprise, en sens inverse, personne ne me l’avait proposé non plus.

Déjà à l’époque, je regardais ces documents avec un œil semi-torve.

Je te prends un exemple pratique. J’en ai vu défiler des stagiaires pour des emplois estivaux dans le journalisme. Ceux qui posaient le plus de problèmes étaient issus des milieux universitaires. Bardés de diplômes, ils n’écoutaient rien car ils savaient. Déjà. Tout. Et bien mieux que toi.  Au final, leurs articles étaient illisibles et eux les trouvaient géniaux. J’ai même connu une demoiselle virée après deux semaines pour prose indigeste et comportement déplacé dans les restaurants. « Vous cuisinez de la merde et je vais l’écrire dans le journal », avait-elle rédigé sur une nappe (en papier), griboulli que le tenancier de l’établissement s’était empressé de transmettre au directeur du Nouvelliste.

Plus récemment, un architecte m’a confié ne plus prendre un seul élève issu de telle école, même s’il avait des notes reluisantes. Pourquoi ? Car avec ces jeunes et braves étudiants, il devait tout recommencer à zéro tant les bases étaient éloignées de la pratique et du terrain. Aaaah, quelle époque formidable qui gère ses paradoxes de faux-cul. Elle favorise la culture de l’attestation à tous crins – celle qui gonfle les CV et rend le candidat « sérieux »– tout en sachant qu’ils valent parfois peau de balle. Tu sais quoi ? Tu es arrivé à la fin de ce papier, le mien, celui de ce mardi 10 juillet 2018. Je me dois de récompenser ta fidélité. Tu trouveras, juste en dessous de ma signature, un PDF qui certifie que tu l’as bien lu jusqu’au bout. Ne me remercie pas, tu as démontré ton assiduité et cela se récompense, moi je dis…

pj investigations

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