Lettre d’un chômeur au Président Macron


Monsieur le Président,

Je m’en voudrais de passer pour un rabat-joie. Comme beaucoup de Français, je suis bien content de la victoire de la France au dernier Mondial de football.

Comme tous les gosses qui ont leur âge, mes enfants sont descendus dans la rue pour chanter « on a gagné ». Ils avaient même trouvé un drapeau tricolore qui traînait, pour le brandir à leur tour. Ils étaient fiers, de cette bannière qu’ils agitaient. Faut dire qu’ils sont encore petits, et contents de ce qui arrive à ce pays. Lequel ne les marginalisait en rien, pour une fois, en cette fin d’après-midi de liesse populaire. D’euphorie.

Une euphorie, dit honnêtement en passant, qui eût été la même – sinon plus grande – dans un autre pays titré. Avec une exploitation politique identique, portée au crédit de n’importe quel pouvoir ailleurs.

J’étais heureux pour mes enfants. Ils se confondaient, en cette journée de dimanche, avec les autres gosses, avec cette France qui exultait, parée de sa victoire. Celle de ces hommes, conquise à Moscou. A mes côtés, mon épouse, qui compilait les factures impayées d’électricité, d’eau, les traites oubliées, passées aux oubliettes face aux nécessités du ménage, mon épouse, disais-je, pestait contre cette «hystérie populaire, l’exploitation populiste de cette allégresse». Pour reprendre ses termes. Sachant combien ce terme de populiste, de populisme, peut être utilisé à convenance par les pouvoirs. La colère est mauvaise conseillère, j’en conviens, mais il faut la comprendre, Monsieur le Président, depuis que le licenciement a frappé. Moi d’abord. Elle ensuite.

On est les champions! Il serait malveillant de ma part de ternir votre bonheur, Monsieur le Président. Sans mesquinerie aucune, il faut bien admettre que cette victoire tombe à pic pour vous. Elle vous permettra de passer un bon été. En attendant la rentrée, qui risque fort d’être synonyme de matins qui déchantent, de gueule de bois pour nombre de Français.

Ne m’en veuillez pas, Monsieur le Président, si le contribuable que je suis, enfin, l’ex-contribuable, n’arrive pas à s’étonner de la victoire de la Fraaaaance à ce mondial. Je mentirais si je disais que je l’avais pronostiquée, cette consécration, même si mes préoccupations étaient bien éloignées de ce qui se passait en Russie, au cours de ces  cinq  dernières semaines.

Comment, oui, comment, en effet pouvait-il en aller autrement pour cette équipe de France qui s’arrogeait – avant le titre, déjà! la place toute symbolique de sélection la plus chère du mondial, avec une valeur «marchande» totale de 1,076 milliard d’euros… A lui seul, Antoine Griezmann gagne annuellement 26 millions d’euros. Le jeune Mbappé 1,5 million… chaque mois! L’équivalent de 10 ans de travail pour un smicard.

Ces réflexions, je les garde pour moi, je n’aimerais pas alimenter la colère et le ressentiment de mon épouse. Sachant qu’elles échapperaient à mes gosses qui réclameront eux aussi demain un maillot frappé du nom de leurs idoles. Avec les logos des sociétés qui ne se soucient pas de savoir le nom du champion. Du moment qu’elles amassent de l’argent. Le pognon, comme vous dites, Monsieur le Président.

Par procuration: Pierre Rottet 

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