Ryanair, grèves et déclin d’un empire irlandais

Après les pilotes, c’est au tour du personnel de cabine de Ryanair de se mettre en grève et, cette fois-ci, en pleine période de vacances.

PAR GÉRARD BLANC

A l’appel de cinq syndicats au Portugal, en Espagne, en Irlande et en Belgique, 600 vols ont été annulés les 25 et 26 juillet 2018. Il s’agit cette fois du personnel de cabine qui, au cours de leurs manifestations, arboraient sur des tee-shirts le slogan « Ryanair must change ».  Leur revendication portait simplement sur le respect du Code du travail légalement établi dans leurs pays respectifs, ce que Ryanair a toujours refusé d’appliquer, se référant à la loi irlandaise permettant aux entreprises de passer outre à cette obligation. 

On peut qualifier cette grève d’historique pour la compagnie lowcost, car, jusqu’alors, c’étaient les pilotes qui étaient en conflit avec leur direction en utilisant un levier de taille : celui de la pénurie de commandants de bord et la surenchère des autres compagnies à bas coût pour leur offrir des conditions plus favorables. Un bras de fer visant à faire accepter le syndicalisme avait finalement tourné en leur faveur. Aujourd’hui, il s’agit de la mobilisation des membres de  l’EurECCA, syndicat européen basé à Bruxelles pour les stewards et les hôtesses et qui revendique 35’000 adhérents. 

Comme on le sait, Ryanair a été de nombreuses fois épinglée pour ses contrats de travail lacunaires ne respectant aucune loi sociale imposée par les gouvernements respectifs. En 2014, la justice française l’avait condamné pour travail dissimulé à payer 200 000 euros d’amendes, mais surtout à verser 8,1 millions d’euros de dommages et intérêts, dont 4,5 millions à l’Urssaf et 3 millions à la caisse de retraite du personnel navigant professionnel aéronautique. Plus récemment, en septembre 2017, c’est la Cour de justice de l’Union européenne (CUEJ) qui avait, elle aussi, ébranlé le système mis en place par la compagnie lowcost en reconnaissant le bien fondé des plaintes de plusieurs employés européens.

Un autre bras de fer va s’engager entre Ryanair et l’Union européenne. A la suite des grèves du 25 et 26 juillet, ce sont quelque 50000 passagers qui devront être indemnisés pour des vols annulés avec une moyenne de 250 euros par passager, soit l’équivalent de 33 millions d’euros au total. Or, Michael O’Leary, PDG de Ryanair, refuse catégoriquement toute indemnisation, prétextant que les annulations des vols avaient été causées par des « circonstances exceptionnelles hors du contrôle de l’entreprise ».  Ce tour de passe-passe semble on ne peut plus hasardeux pour la compagnie irlandaise. En effet, il y a de grandes chances pour que Ryanair soit mis à l’amende pour ne pas respecter le Code d’obligation des compagnies aériennes en territoire européen en matière d’indemnisation des passagers. Il existe un organisme appelé « Denied Boarding Authority », dont la réglementation est sans appel.  Elle stipule que la clause de « circonstance exceptionnelle » ne peut s’appliquer que lors de l’annulation de vols pour des grèves impliquant un tiers (les contrôleurs aériens, les bagagistes, les douanes ou les employés de l’aéroport), mais pas en ce qui concerne des employés de la compagnie aérienne. Plusieurs autres transporteurs ont déjà été déboutés par la juridiction européenne dans des cas similaires. L’obligation d’indemnité et de remboursement des billets non utilisés a, on s’en souvient, été appliquée lors des poussières  émises par un volcan islandais. Certes, les remboursements ont pris du temps, mais aucune compagnie aérienne n’a pu y échapper. On aurait pourtant pu imaginer que fût invoquée la « circonstance exceptionnelle » dans un cas manifeste de sécurité obligeant les compagnies aériennes à annuler leurs vols. D’autre part, les passagers de Ryanair qui ont vu leurs vols annulés pour cause de grève ou de pénurie de pilotes ne seront peut-être plus aussi fidèles à Ryanair s’ils ne reçoivent pas l’indemnisation à laquelle ils ont droit, quoi qu’en déclare Michael O’Leary, qui prétend que  «peu importe ma mauvaise image de marque, les passagers continueront à voler avec Ryanair car nous sommes les moins chers!». Cette fois-ci, il y a des chances que la limite à une telle fidélité des passagers ait été atteinte, même si les prix sont clamés comme les plus bas du marché aérien.

Au premier trimestre 2018, la compagnie irlandaise a publié un bénéfice net inférieur de 22% à celui du 1er trimestre 2017. Ce résultat s’explique par une augmentation de prix du kérosène, mais aussi par les grèves des aiguilleurs du ciel dans plusieurs pays européens, par l’augmentation de la concurrence d’autres compagnies lowcost (surtout en Allemagne),  par les répercussions des grèves du personnel de Ryanair et les annulations de vols qui en ont découlé mais, enfin, par les récentes augmentations  des salaires accordées aux pilotes. Ryanair prévoit également un bénéfice annuel 2018 en baisse d’environ 1,30 milliard d’euros à cause des effets conjugués des facteurs précités, auxquels devraient  s’ajouter les effets du Brexit qui ne devraient pas permettre de redresser la barre en 2019.

Ryanair accuse mal le coup des mouvements sociaux en Europe,  surtout sur le territoire irlandais. Le 25 juillet, elle a annoncé la réduction de 20 % de sa flotte à Dublin pour l’hiver 2018/2019. La compagnie n’aura plus que 24 avions à Dublin contre 30 jusqu’à présent, ce qui entraînera des pertes d’emplois pour 100 pilotes et 200 membres du personnel de cabine. Le groupe donnera la priorité à son activité en Pologne sous le label Ryanair Sun. La direction du groupe aérien justifie sa position par une baisse des réservations  Elle admet une perte de confiance du public face au récentes grèves.

Cela fait plusieurs années que la situation se dégrade chez Ryanair. L’erreur de Michael O’Leary a, apparemment, été de penser qu’il pourrait éternellement passer entre les gouttes des réglementations gouvernementales européennes, surtout en matière de droit du travail. Il a pu, jusqu’alors échapper à certaines sanctions, profitant de la lenteur administrative des autorités locales, pour engranger de substantiels bénéfices. Mais quand on est gourmand, on en veut toujours plus et la direction de Ryanair ne semble pas vouloir réduire la voilure ailleurs qu’en Irlande. La chose se complique évidemment quand le prix du kérosène augmente.

Sources : Reuters, Le Monde, Les Echos, Bilan, RTBF

Je Pars

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