Les tribulations d’un O.R.P.iste


Après avoir suivi ses études primaires et secondaires en Suisse romande, Fabrice, mon petit-cousin par alliance, décida d’aller poursuivre ses études universitaires outre Sarine, à l’E.P.F.Z., afin de parfaire son allemand.

PAR EMILIE SALAMIN-AMAR

Quelques années plus tard, parfaitement bilingue, bardé d’un diplôme d’ingénieur en électronique, il se mit à la recherche d’un emploi. Ne trouvant rien, il retourna sur les bancs de l’université pour en ressortir muni d’un second diplôme: un doctorat en physique.

Il se mit alors en quête d’un emploi… en vain! Parmi les nombreuses réponses qu’il reçut, certaines mentionnaient le fait qu’il soit trop qualifié et qu’il maîtrisait mal l’anglais. Il partit donc en Angleterre pour une année afin d’étudier la langue de Shakespeare.

De retour en Suisse, il entreprit à nouveau des recherches d’emploi. Les réponses des entreprises étaient toujours aussi négatives: trop jeune, surdiplômé, manque d’expérience, de connaissance de l’italien, de l’espagnol, du chinois, du russe et même de l’arabe!

En attendant… il fallait bien vivre! Fabrice ne voulait plus être à la charge de ses parents alors qu’il flirtait déjà avec la trentaine. Il décida de s’inscrire à l’O.R.P. de sa région et d’accepter humblement n’importe quel petit boulot en attendant de trouver un poste dans ses compétences. C’est ainsi qu’il fit connaissance avec le parcours du combattant de l’emploi et qu’il devint un O.R.P.iste par excellence.

Après moult rendez-vous, des tonnes d’imprimés dûment remplis et signés, des heures d’interrogatoires, son dossier était enfin complet! On lui proposa alors de s’inscrire à un cours intensif de russe ou de chinois, tendance du marché oblige! Il opta pour le russe. Une année plus tard, il fit un stage pour apprendre comment monter son entreprise, puis comment utiliser un logiciel de comptabilité afin de se familiariser avec le calcul de la T.V.A., un autre sur la fiscalité européenne, puis encore un autre sur la gestion, encore un sur la psychologie d’entreprise et enfin comment gérer son personnel, sans parler de celui pour aménager ses bureaux et celui pour apprendre à réduire ses coûts de publicité et d’impressions. C’était beaucoup pour un O.R.P.iste qui n’avait pas d’entreprise, encore moins de personnel, pas même un emploi tout simplement! Riche de tout ce savoir, il était devenu un P.D.G. virtuel par excellence d’une société fantôme pas même imaginée!

Au bout de deux ans de divers apprentissages, Fabrice accepta finalement un travail «alimentaire» le soir et les dimanches dans un restaurant au goût unique dont l’enseigne est un grand «M» jaune. A présent qu’il parlait plusieurs langues outre le français: l’italien, l’allemand, l’anglais, l’espagnol et le russe… il faisait le bonheur des clients étrangers qui pouvaient enfin commander à manger dans leur langue.

Un jour, un client russe qui ne désirait consommer qu’une très grosse portion de frites accompagnée d’un demi-litre de boisson caramélisée, lui propose de venir faire un stage de six mois dans son entreprise à Saint-Pétersbourg. Fabrice accepta avec enthousiasme, il allait enfin pouvoir mettre en pratique tout ce qu’il avait appris au cours de sa vie. Il allait acquérir cette fameuse expérience sans laquelle, les portes des sacro-saintes entreprises restent désespérément closes.

Après avoir effectué son stage en Russie avec succès, il fut engagé par cette entreprise de haute technologie. Quelques mois plus tard, il épousait la fille de son patron, le gros mangeur de frites. Fabrice ne revint jamais en Suisse.

L’Essor, janvier 2007

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