L’extinction des foires


Les rassemblements de marchands pour acheter et vendre, traiter des affaires et partager des nouvelles sont aussi anciens que les civilisations.

PAR JACQUES GUYAZ

En Europe, au Moyen Age, les plus importantes rencontres étaient les foires de Champagne qui réunissaient les commerçants des deux régions les plus prospères du continent, les Flandres et la Toscane, sans oublier le réseau des villes et comptoirs de la Ligue hanséatique qui s’étendait bien au-delà de son berceau jusqu’à Bordeaux, Naples ou Novgorod.

Les foires se sont ensuite développées un peu partout et n’ont pas cessé de se diversifier en «salons» spécialisés, horlogerie, automobile, art, livre, informatique et autres, parfois réservés aux seuls professionnels.

Les foires ont toujours été l’affaire des villes qui ont réalisé des investissements substantiels en bâtiments et halles d’exposition parfois gigantesques pour abriter ces manifestations. Elles drainent exposants et visiteurs, profitent à l’hôtellerie et à l’économie locale et portent loin à la ronde le renom de la cité organisatrice. Or voici que, depuis quelques années, on observe un retournement spectaculaire: les foires, généralistes ou spécialisées, périclitent, voire disparaissent purement et simplement.

Les montres et les autos

Baselworld, le salon bâlois de l’horlogerie en est la plus spectaculaire illustration. Cette foire réunissait chaque année toute l’horlogerie mondiale. Depuis 1990, elle est concurrencée par le salon de la haute horlogerie de Genève, consacré aux montres de luxe.

Entre 2013 et 2017, l’effectif des exposants à Bâle a chuté de 55%, se réduisant de 1’460 à 650, tandis que le nombre des visiteurs a diminué d’un tiers, de 155’000 à 105’000. Le départ annoncé de Swatchgroup aura probablement donné le coup de grâce au salon qui ne devrait pas s’en remettre.

Sur le marché asiatique, le plus important pour l’horlogerie suisse, la promotion s’effectuera désormais surtout à travers showrooms et flagship stores, concepts difficilement traduisibles en français qui désignent de grands magasins aux aménagements luxueux réservés à la promotion d’une seule marque, appuyés, bien sûr, par de très forts relais numériques.

Le marché de l’automobile est sans rapport avec celui de l’horlogerie et pourtant les mêmes tendances se manifestent: les marques commencent à déserter. Au Salon de Genève, DS, Mini, Infiniti et surtout Opel étaient absentes. Contrairement à Volvo et à Peugeot, qui sont venues à Genève mais ont boudé le salon de Francfort. Au Mondial de Paris qui se tiendra en octobre, Opel, Mitsubishi, Ford, Volvo et surtout Volkswagen sont annoncées absentes. L’érosion demeure certes moins forte à Genève que sur les places concurrentes, mais pour combien de temps? Ce printemps le nombre de visiteurs au Salon de l’auto a décru de 4,5%.

Difficile de trouver un point commun entre des secteurs aussi différents si ce n’est que l’on n’achète pas une montre de luxe ou une auto sur Internet. Ce sont des objets qu’il faut toucher, palper, essayer. Mais la communication de base, celle qui amènera le client éventuel au magasin ou au garage ne passe de toute évidence plus par les salons.

Foires généralistes en déclin prononcé

Les manifestations généralistes sont aussi très touchées. Plus personne, c’est le directeur du Comptoir suisse qui le dit, ne va dans une foire pour acheter de l’électro-ménager ou un matelas. L’appellation de la foire lausannoise apparaît désormais trompeuse. Un comptoir est un lieu d’échange de marchandises et de services y afférents. Or à Lausanne, on vend de moins en moins. Et il y a belle lurette que cette foire n’a plus rien de nationale. Elle reste un événement essentiellement vaudois, sans avoir la force des traditions locales qui font le succès de l’Olma à Saint-Gall, ni la convivialité joyeuse qui assure la bonne tenue du comptoir de Martigny.

L’an passé, le Comptoir suisse faisait peine à voir entre une présence massive de l’armée présentant ses jolis joujoux, un secteur de réalité virtuelle et de jeux destinés aux jeunes baptisé le Lab, des concerts dans les jardins et l’ancien secteur des «caves», des restaurants élégamment regroupés dans une halle. Ni l’un ni l’autre de ces quatre éléments n’apparaît méprisable ou sans intérêt, mais aucune unité ne ressortait de cet ensemble totalement disparate.

Le Comptoir suisse perd de l’argent et pour couronner le tout, la presse nous apprend qu’une des halles d’exposition construite voici sept ans seulement souffre de défauts de conception. Le Comptoir suisse est dans un coma qui rend sa survie plus qu’incertaine.

Les foires sont-elles mortes ? Les grands bâtiments d’exposition que l’on trouve dans quasiment toutes les villes sont-ils destinés au bulldozer ou à devenir, au mieux, des skate parks ou des centres de sports de salle?

Et pourtant, il y a toute une catégorie de foires qui fonctionnent bien, celles qui ont conservé leur activité de base, le rendez-vous du vendeur et de l’acheteur avec les rencontres entre professionnels qui s’observent, s’espionnent et s’échangent des informations plus ou moins biaisées, comme le font les marchands de toute éternité. Ainsi, les grandes foires d’art contemporain, Art Basel en tête, constituent un bon exemple de réussite. Même s’il convient de ne pas se faire d’illusions à leur sujet. Pour faire mieux que se perpétuer, elles doivent se montrer créatives, à l’instar des artistes dont elles proposent les œuvres.

Quant au complexe de Beaulieu en plein Lausanne et au vaste Palexpo de Genève-Aéroport, ils ont leurs belles années derrière eux. Tout doit être repensé. Trop vastes, ce sont les dinosaures des foires que le développement du numérique réduit lentement à l’état de fossiles.

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