Il faut avoir eu au moins vingt ans en 1968 pour se souvenir de Jan Palach, l’étudiant tchèque qui s’immola par le feu pour protester contre l’occupation sanglante de son pays par les troupes du Pacte de Varsovie. Janvier 2019 marquera le 50e anniversaire de la mort de ce Jan Hus moderne dont un livre, « La vie brève de Jan Palach » (Le Dilettante, 2018), perpétue le souvenir tragique. Né en 1975, l’auteur, Anthony Sitruk, est un écrivain français. Ses parents quittèrent la Tchécoslovaquie en 1970.
Il faut être originaire de l’Europe centrale et orientale pour vraiment comprendre et entretenir la mémoire du drame que subirent les victimes de la dictature soviétique. Anthony Sitruk n’a jamais vécu à Prague mais à Paris où il n’a connu que la relative insouciance d’un régime social et politique enrobé de conditionnements consuméristes. Mais le sang ne se renie pas. Le symbole Palach permet à Sitruk d’analyser la cassure vécue par le peuple tchèque privé de son été. 800 000 personnes rendirent hommage au jeune héros lors de ses obsèques par une froide et humide journée de janvier. Pourquoi son sacrifice?
Il faut une empathie d’artiste pour parvenir à pénétrer l’âme d’un révolté. Sa tristesse face à l’impuissance de ses contemporains. Son dégoût des compromis et de la raison d’Etat. Ses multiples cheminements avant le passage à l’acte ultime. Le déchirement qu’induisent les scrupules professionnels et familiaux, des études brillantes, l’amour d’une mère.
Il faut une sacrée dose de mauvaise foi à Bruxelles pour exiger des ex-démocraties dites populaires des comportements compatibles avec les canons philosophiques de pays qui n’ont dû leur prospérité qu’au bouclier de l’OTAN. Moins de trente ans après la chute du Mur, les plaies sont encore vives à Berlin, Varsovie, Prague ou Budapest. De sorte que ces capitales ne comprennent pas pourquoi les institutions européennes pratiquent une tolérance à deux vitesses. Par exemple, fermer les yeux sur la répression qu’exerce Madrid en Catalogne mais clouer au pilori la Hongrie parce qu’elle ferme ses frontières aux migrants. Voilà pourquoi la condamnation de Viktor Orban au parlement européen est maladroite. Elle reflète une méconnaissance crasse de l’histoire et blesse d’abord un peuple dont la maturité semble contestée non sans suffisance par certains députés à Strasbourg. Même l’opposition à Orban fait bloc autour du chef du gouvernement sur ce point de principe: il n’appartient qu’à la Hongrie de prendre son destin en main.
Christian Campiche