Ryanair, O’Leary quitterait le navire


Le vendredi 28 septembre, Ryanair a dû annuler 250 vols après un nouvel appel à la grève de son personnel qui, pour une fois, n’était pas uniquement celle voulue par les commandants de bord, mais aussi celle du PNC (personnel naviguant de cabine, à savoir les stewards et les hôtesses).

Ce débrayage s’ajoute à plusieurs du même genre depuis plus d’une année. La position du personnel de la compagnie lowcost émanant de l’Italie, du Portugal, de l’Espagne, des Pays-Bas, de la Belgique et de l’Allemagne, reste inchangée: ne plus dépendre d’un contrat irlandais, mais se conformer aux pratiques sociales et salariales en vigueur dans chaque pays où le personnel réside. Cette dernière grève a eu pour impact plusieurs centaines d’avions cloués au sol et 150’000 passagers qui n’ont pas pu voyager.

Chaque jour davantage de responsables politiques européens demandent des comptes au PDG Michael O’Leary, notamment en Belgique. Le mercredi 27 septembre, c’était au tour de Marianne Thyssen, Commissaire européenne pour l’emploi et les affaires sociales qui, à l’issue d’un entretien avec le directeur de Ryanair, n’a pas mâché ses mots: « Je lui ai dit très clairement que, si je n’étais pas contre le modèle économique à faible coût, le succès comportait aussi des responsabilités et que le marché aérien interne européen n’était pas une jungle ! »

Les temps changent au sein de la lowcost. Les syndicats qui, jusqu’alors étaient interdits, voire méprisés par Michael O’Leary, ont commencé à être autorisés depuis le début 2018. La grogne sociale s’accroît de jour en jour. La tentative d’éteindre la contestation en signant dernièrement plusieurs accords avec des syndicats, notamment au Royaume-Uni, en Irlande et en Italie, acceptant des augmentations de salaire et des améliorations des conditions de travail et en montant les syndicats les uns contre les autres n’a pas apaisé la contestation qui se généralise. La menace de délocaliser, par exemple, les pilotes irlandais en Pologne n’a pas eu d’effet, et Michael O’Leary a fini par abandonner ce projet. Ryanair a dû trouver un terrain d’entente avec les syndicats de personnels navigants italiens Fit Cisl, Anpac et Anpav. Depuis le 1er octobre 2018, une convention collective est applicable avec, grande nouveauté, des contrats de travail italiens et non plus irlandais. Cette convention collective sera applicable pendant trois ans, à renouveler. C’est une avancée remarquable, même si l’accord n’a pas été conclu avec les syndicats qui étaient à l’origine de la grève.

Le transport aérien va devoir faire face à de nouveaux défis, liés au recrutement et à la formation de personnel compétent. C’est ce qui ressort d’une enquête mondiale réalisée par l’Association internationale du transport aérien (IATA) auprès des professionnels en ressources humaines de l’industrie aérienne. Il met en exergue les principaux défis liés au recrutement, à la formation et à la rétention d’employés qualifiés: Selon le site d’informations norvégien ABC Nyheter, 700 vols, pour exemple, ont été annulés par la filiale irlandaise de SAS l’été dernier en raison de pénurie de personnel forçant les équipages en place à des heures supplémentaires et accentuant leur état de fatigue. On imagine donc que les grévistes de Ryanair n’ont rien à perdre et n’auront guère de souci à trouver de travail ailleurs en cas de licenciement.

Ryanair vient de publier ses objectifs financiers pour l’année 2018-2019. Elle espère atteindre entre 1,10 et 1,20 milliard d’euros de chiffre d’affaires, contre 1,25 à 1,35 milliard estimés précédemment. Les marchés s’affolent. Le lundi 1er octobre, le titre Ryanair chutait de 7,78% à la Bourse de Dublin. Depuis le début de l’année, l’action a perdu un cinquième de sa valeur. Dans ses prévisions, Ryanair admet que les récentes grèves ont réduit le nombre de passagers transportés, et entamé la confiance de ceux-ci. La compagnie s’attend à un troisième trimestre morose, malgré les vacances d’octobre et de Noël. Mais c’est sans compter encore sur la hausse du prix du carburant qu’il faudra prendre en compte et qui risque de dresser un tableau pire encore. Une cure d’amaigrissement est prévue avec la fermeture de trois bases en Europe, une au Pays-Bas et deux en Allemagne. Représailles contre les grévistes ? La chose n’est pas impossible mais, cette fois-ci, Ryanair devra affronter des syndicats alors que, jusqu’à présent, elle traitait les licenciements de personne à personne. A force de minimiser les mouvements sociaux, Ryanair devra bien réfléchir aux mesures à prendre si elle ne veut pas se trouver devant des mouvements d’ampleur, par exemple, pendant la période clé des vacances de fin d’année.

A 57 ans, Michael O’Leary a été pendant 27 ans aux commandes de la compagnie. Lors d’une interview au quotidien La Libre Belgique il a déclaré envisager de ne pas renouveler son contrat de cinq ans en 2019 lorsque celui-ci arrivera à échéance. Le souhait de nombreux membres du personnel va-t-il être exaucé ?

En tout état de cause, si les contrats lacunaires de forme irlandaise devaient être contestés par voie juridique européenne à Ryanair, alors le cas ferait jurisprudence et l’Irlande devrait alors adapter fondamentalement son droit commercial à celui du reste de l’Europe. Cela causerait un grand chambardement dans l’Eldorado financier de l’Irlande et l’implantation de multinationales à « bas coût » (encore !).

GB/Je Pars

Sources : Le Parisien/Les Echos/Le Point/Boursorama/ ABC Nyheter/La Libre Belgique

Le commentaire de Gérard Blanc

Le concept même du transport lowcost est en train de perdre sa terminologie première, toutes les compagnies aériennes utilisant désormais,  par voie informatique, la technique qu’on appelle “yield management” et qui consiste à optimiser le remplissage et la rentabilisation des vols par la voie de tarifs préférentiel pour qui réserve longtemps à l’avance. Beaucoup de lignes dites “régulières” ont dû, à contrecoeur, bousculer leurs règles commerciales en diminuant leurs prestations pour se calquer sur le modèle lowcost, de peur de perdre leur part de marché. Aujourd’hui, le principe même du lowcost bat sérieusement de l’aile et on peut même se demander si  ce n’est pas la fin annoncée des transporteurs qui, outre le “yield managenent”, accumulent comme Ryanair des profits en exploitant leurs employés sur la base d’engagement de personnel selon le principe du “contrat entreprise” a savoir l’embauche de personne se gérant elles-mêmes, notamment en matière de prestations sociales. Selon ce principe, Ryanair a ouvert la porte à beaucoup d’autres formules du même type.  La politique s’en mêle et les partis néo-libéraux font plutôt profil bas face aux syndicats qui dénoncent de plus en plus cette nouvelle forme d’esclavage moderne. Il faut à cela ajouter les réactions de plus en plus persistantes des leaders politiques à propos des financements occultes des sociétés locales lors de l’ouverture ou du maintien des lignes aériennes. L’intransigeance presque hystérique de Michael O’Leary en persistant à rejeter les règles  sociales de l’Europe a grandement desservi la cause de sa compagnie et c’est, peut-être, ce dont Michael O’Leary est en train, enfin, de se rendre compte.

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