Honneur au bois!


De quel bois se chauffent les spécialistes du… bois en Suisse?

Pour le savoir, l’Association des Amis de Château-d’Oex et du Pays-d’Enhaut avait invité cinq personnalités du milieu du bois lors d’une soirée organisée jeudi 11 octobre 2018 dans la salle de l’hôtel Roc et Neige, à Château-d’Oex. L’événement a réuni une soixantaine d’habitants de la région, quelques membres des municipalités des villages environnants, dont le syndic de Rossinière, Jean-Pierre Neff.

« L’industrie du bois offre 350 emplois dans le Pays-d’Enhaut ». Modérateur enthousiaste du débat, François Margot, coordinateur du Parc naturel régional Gruyère Pays-d’Enhaut, a placé d’emblée l’enjeu sur le plan de l’exploitation d’un « matériau noble et renouvelable » dans une région qui offre en la matière une concentration de savoir-faire parmi les plus remarquables en Suisse.

Il revenait à un personnage dont la compétence le disputait au pittoresque d’ouvrir les feux, pas ceux qui consument les forêts, bien sûr, mais ceux qui éclairent sur les raisons de les aimer et les soigner. Professeur à la Haute Ecole Spécialisée Bernoise à Bienne, Thomas Rohner avait revêtu un largeot, l’habit typique des charpentiers, pour expliquer ce qui motivait sa passion, la formation des maîtres charpentiers et menuisiers. Inutile de préciser que la météo sans pluie n’a pas empêché l’assemblée de boire ses paroles. Saviez-vous, par exemple, que la Suisse a inscrit la protection des forêts dans sa Constitution? Les pères fondateurs du pays savaient ce qu’ils faisaient car le bois est l’un des matériaux de construction les plus fiables. Il conserve sa valeur pendant des siècles. Ce n’est pas pour rien que la Tour Eiffel a été érigée par des charpentiers. En Suisse aujourd’hui le numérique permet des miracles grâce à la méthode BIM, développée sur le campus de Bienne. Nombre de sociétés honorent le bois, en témoignent les sièges de Tamedia et d’Omega. Les bois les plus courtisés? Les feuillus, le hêtre qui « stimule l’innovation, se substitue au béton et inspire les architectes ». 

Sans oublier l’épicéa, le sapin blanc ou le mélèze, a complété le deuxième orateur, Philippe Nicollier, charpentier et président de Lignum Vaud. « Sur les 10 millions de mètres cubes produits chaque année par ses forêts, la Suisse en consomme 8,5 millions ». Un chiffre conditionné par les cultures architecturales. Dans certaines régions comme la Suisse italienne, on privilégie plutôt la pierre. Mais aux Ormonts, les constructions en bois sont la règle.

Par définition, le bois flambe, on l’aime comme ça mais jusqu’à un certain point. D’où la présence, nécessaire dans le débat, d’un assureur, en l’occurrence Walter Pillon, responsable de la formation à l’ECA Vaud. Quid de la protection incendie, la vocation de cette enseigne? Eh bien, elle sera conditionnée logiquement par l’architecture et la hauteur des bâtiments. On la considère faible jusqu’à 11 mètres, moyenne en dessous de 30 mètres, forte au-dessus. RF1, RF2, RF3, ces sigles ne symbolisent pas l’admiration des assureurs pour Roger Federer (encore que!…) mais le maquis des catégories résistantes au feu passant sous leurs fourches Caudines. Entre la future tour de Chavannes, pétrie de bois, et les bancs d’église, patrimoine à conserver, la marge d’appréciation est réelle. « Il y a une volonté politique derrière la législation. On peut tout construire avec les éléments combustibles, le seul problème est de ne pas livrer le bois aux apprentis-sorciers. Le bois tout seul n’est jamais responsable des incendies… ». 

On l’a compris, l’architecture alpine constitue un défi permanent pour les architectes et les maîtres d’ouvrage. De quoi inciter le quatrième intervenant, l’architecte damounais Christian Sieber à se faire l’exégète des constructions d’abord traditionnelles – le Grand Chalet de Rossinière – et modernes. Et de disserter, illustration à l’appui, sur la grandeur des fenêtres. « La race humaine évolue en taille. Aujourd’hui, le Grand Chalet ne répondrait pas aux normes et ne pourrait pas voir le jour ». Avocat incontestable de l’architecture vernaculaire, celle qui privilégie les matériaux du lieu, l’architecte énumère les évolutions qui ont permis au bois de s’adapter au monde actuel, mieux, de le dominer: la préfabrication en atelier, la minimisation des contraintes atmosphériques, l’amélioration de la planification, l’efficacité logistique. Si vous ne le croyez pas, sachez qu’une poutre en bois de trois mètres de portée peut supporter jusqu’à 20 tonnes de poids. Par ailleurs, le bois est six (!) fois plus résistant que le béton armé. Enfin, en cas d’incendie, le bois dégage moins de nocivité toxique que le béton, l’acier ou l’aluminium. L’oeuf de Colomb, le bois? Christian Sieber ne minimise pas les obstacles face au béton qui a encore de « beaux jours devant lui ». Le principal étant le prix. Plus coûteux, le bois local exige une solution que connaissent bien les milieux agricoles: la subvention. Ou le protectionnisme: taxer au transport le bois étranger.

Dernier intervenant, Jean-Louis Rossier, charpentier à Château-d’Oex, a détaillé les défis qui attendent les métiers du bois dans une région comme le Pays-d’Enhaut, disposant d’une surface forestière de 7800 hectares. Le moindre n’étant pas la transformation de la matière première à la main! Un détail, serait-on tenté d’ajouter, pour l’un des artisans de réalisations locales récentes telles que la ferme agricole, les chalets en madrier, mais aussi la gare de Château-d’Oex, les passerelles surplombant la Gérine et un parasol géant.

« Saluons la volonté de construire en bois local dans un pays, la Suisse, où la forêt progresse chaque année d’une surface équivalente au lac de Thoune», a insisté le modérateur François Margot, dans son mot de la fin, à l’issue de l’espace réservé aux questions nourries de l’assemblée. Une conclusion appréciée à sa juste mesure par un dynamique ex-entrepreneur bernois actif, non pas dans le bois, mais dans le… chocolat, l’organisateur de la soirée et trésorier de l’Association des Amis de Château-d’Oex et du Pays-d’Enhaut, Peter Gysi.

Photo: La Méduse

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