Alors que s’approche la fin de la conférence COP24 dont le succès semble d’ores et déjà compromis, il y a lieu de prendre conscience qu’il n’y aura probablement pas de solution unique, mais un mix de politiques éclairées et d’avancées technologiques et, surtout, un changement des paradigmes sociaux. Nous n’en prenons pas le chemin malheureusement, en particulier si nous observons la très récente marche arrière du parlement suisse quant à la taxe carbone qui va à l’encontre des décisions de la COP21. Il est urgent de comprendre que le monde d’aujourd’hui est complexe et que le changement climatique représente un défi immense qui demande des décisions immédiates suivies d’actions réelles.
Rejeter la responsabilité du réchauffement climatique sur le citoyen individuel est se tromper de cible. Certes, chacun de nous doit essayer de suivre un mode de vie respectueux de l’environnement, mais la responsabilité des grandes industries émettrices de CO2 – selon le rapport GIEC, les émissions globales de l’industrie devraient diminuer de 50-80% si l’on veut limiter le réchauffement à moins de 2°C d’ici 2050 – est engagée et elles devront supporter la majeure partie des mesures correctives.
Sur le plan technologique, beaucoup a été déjà fait. Les productions d’énergie solaires et éoliennes ont augmenté de manière significative, allant jusqu’à concurrencer les énergies nucléaires et hydroélectriques. La multiplication des voitures électriques sur nos routes est remarquable et le nombre de véhicules « propres » va sans doute augmenter drastiquement dans les années à venir. L’apparition, pour l’instant timide, de voitures propulsées par des piles à combustible à l’hydrogène est programmée. Encore plus réjouissant, plusieurs pays occidentaux ont affirmé leur but de devenir indépendants des combustibles fossiles dans les prochaines années. Au niveau des entreprises, certaines sont plus conscientes de l’urgence de la situation que les gouvernements et ont déjà œuvré dans cette direction, comme le démontre l’article publié dans la Méduse « Pollution aérienne, les promesses de United Airlines », qui fait état des efforts d’une compagnie aérienne américaine pour s’engager dans le combat écologique.
Mais il ne faut pas oublier que plusieurs industries «sales» (production de ciment et d’acier, production d’électricité à partir de combustibles fossiles – en particulier le charbon) ainsi que certains moyens de transport et de chauffage devront être «décarbonisés» moyennant des investissements importants financés par exemple par la taxe carbone, des réglementations et autres subventions.
Pourtant, tout n’est pas à jeter. Dans un futur proche, en tenant compte de l’évolution actuelle et en faisant preuve d’un peu de pragmatisme, des formes de production d’énergie non renouvelable pourraient être inclues dans le paysage énergétique telles que l’énergie nucléaire et le gaz naturel muni de systèmes de captures du carbone. Une autre technique plus délicate, la géo-ingénierie solaire, est mentionnée par le GIEC, mais ses effets ne sont pas encore maitrisés et cette technologie doit continuer à être évaluée avec prudence car elle pourrait mener à des déséquilibres dangereux et irréparables. Il est donc impératif de poursuivre dans ces directions en investissant massivement dans la R&D, y compris pour certaines formes d’énergies conventionnelles peu polluantes climatologiquement parlant.
Un autre aspect des obstacles à franchir provient de groupes étiquetés climatosceptiques. Les membres de ces groupes n’ont qu’une connaissance rudimentaire de la science impliquée et peuvent être considérés comme manipulés par des lobbies ou intérêts spéciaux dont les moyens financiers sont infiniment plus importants que ceux de leurs adversaires, ceci particulièrement aux USA avec à leur tête le Président Trump et même dans certains pays européens. Ces groupes nient l’évidence scientifique et s’adressent en particulier aux personnes aux connaissances économiques et politiques moins affutées comme l’indique le Scientific American [1] : « Lorsque des personnes pouvant utiliser et abuser de l’environnement sont plus puissantes que celles qui pourraient être lésées, le déséquilibre facilite la dégradation de l’environnement. Et plus grande est l’inégalité, plus grand sera le dommage. De plus, ceux qui possèdent le moins de pouvoir supporteront une part disproportionnée de la blessure infligée ». C’est donc l’argent et les intérêts particuliers qui vont à l’encontre de l’évidence scientifique. Et c’est le Président des Etats-Unis, le 3ième pollueur mondial, qui déclare avoir « mis fin à la guerre contre le charbon » (!) et qui abandonne le « Clean Power Plan » de son prédécesseur. Pourtant tout n’est pas perdu et il est réjouissant de voir que plusieurs Etats et villes américaine agissent dans le sens du traité de Paris, pour obtenir que 17% de l’énergie électrique produite aux USA en 2017 sont produits à partir des énergies renouvelables, deux fois plus qu’en 2007. Tout espoir n’est donc pas perdu !
Un autre aspect à considérer est le manque de précédents et de structures établies pour affronter un problème de cette ampleur. Il s’agit d’un problème planétaire qui demande une vision globale de la part de nos dirigeants qui manifestement ne sont pas à la hauteur de leur responsabilité. Et, bien sûr, ce sont ceux qui souffrent, principalement dans les pays pauvres, qui vont devoir payer les pots cassés, les plus riches ayant de meilleures chances de pouvoir assumer les coûts engendrés par les mesures préventives ou correctives liées aux conséquences de ce déséquilibre.
Pour éviter le pire, il faudra réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, donc en l’espace d’une dizaine d’années. Pour y arriver , si cela est possible, il faudra des investissements énormes – certains parlent de 1’000 milliards d’Euros sur une décade [2]. Comment y arriver ? La création d’un fond climatique mondial a été suggérée, mais est-ce réalisable dans un aussi court laps de temps ? Et dans notre pays, à la pointe de la technologie mondiale, où nous savons que notre budget fait pâlir les grands argentiers des pays voisins, la taxe carbone vient d’être refusée et le ministre Maurer ne veut pas augmenter les dépenses. Pourtant nous nageons dans l’argent : pourquoi ne pas l’utiliser pour sauver le climat avant que le ciel nous tombe sur la tête? Il suffit d’une volonté politique, car la volonté populaire est acquise…
Alain Heimo
[1] “The Environmental Cost of Inequality”, Scientific American (Novembre 2018)
[2] UP’magazine, « 1000 milliards d’euros pour le climat ? », 6 décembre 2018