Dans Khartoum assiégée


L’écrivain vaudois, Etienne Barilier, occupe une place considérable dans la littérature romande et francophone. Son importance déborde largement les frontières. Chroniqueur et traducteur, l’art et la culture sont au coeur de ses écrits. Il a publié un grand roman, miel de son oeuvre.

Aborder un livre comme un rivage inconnu et y retrouver les fragments de l’expérience de l’humanité. Dans Khartoum assiégée nous fait voyager dans une architecture somptueuse d’un bout à l’autre.

Le titre annonce d’emblée le cadre du roman. On est dans l’Histoire. Khartoum, la capitale du Soudan, est sur le point d’être assiégée en 1885 et coûtera la vie au Général Gordon, figure centrale du livre, aux commandes au moment du siège. Les troupes du Mahdi, successeur autoproclamé et inspiré du prophète, s’approchent et guettent l’occasion propice pour intervenir. Alors, une comète – fait historique – annonce les durs temps à venir.

L’anémie du colonialisme, le peu d’empressement de l’Angleterre et de son allié égyptien à se battre pour rester au Soudan, créent une atmosphère de délitement et produisent de très beaux portraits de personnages. Le pacha égyptien qui dirige la ville manque de conviction dans sa tâche et en pressent la fin.

La minutie apportée au dessin des personnages fait qu’on les frôle de très près sans jamais percer leur mystère. Dans cette galerie, deux portraits lumineux de femmes, dont le choix ne suit pas leur intérêt propre, mais l’altruisme et le devoir portent le groupe de ceux qui ne quittent pas Khartoum. Soeur Mathilda et Marie font parties des figures inventées par l’auteur. Elles brillent par la fermeté de leur conviction et la radicalité avec laquelle elles assurent leur chemin.

Car la dimension historique ne doit cependant faire oublier l’art romanesque à l’oeuvre, ni le travail fabuleux sur la langue, les langues si l’on compte celle de l’autre. Non seulement, les registres de la langue, mais aussi ses sonorités, la prononciation de tel mot matérialise la sensation de sa richesse et de son usage. Et parfois une pincée d’humour qui comme du sucre glace vient souffler de la légèreté à certains tableaux.

Sous forme d’une fresque monumentale, l’auteur nous fait assister à la chute de Khartoum comme un bateau qui sombre peu à peu sous les attaques de l’ennemi. Les eaux des deux Nils ne sont pas loin. Mais la population européenne ne peut plus quitter la ville tout en connaissant le danger et en en pressentant l’issue. L’aspect visuel de ce très grand roman, riche de pensée, d’interrogation, nous fait aller du gros plan à la vision d’ensemble.

On sait l’art d’essayiste d’Etienne Barilier, avec le talent et le courage intellectuel d’aborder les sujets qui fâchent. Or, la fiction de ce roman se nourrit de la rigueur de la documentation et d’érudition de l’auteur et de son invention. Il fait sentir, privilège du romanesque, la misère de la guerre et de l’affrontement bien plus que les questions idéologiques. La nourriture qui manque, les humains face à eux-mêmes, l’opportunisme des renégats, relèguent au second plan le reste, qui comme dit Shakespeare est silence.

Le voyage immobile que nous offre Dans Khartoum assiégée va montrer le Général Gordon, anglican et mystique, vivre ses derniers instants, car les renforts ne viendront pas. À plusieurs reprises, une sorte de complicité rapprochera le futur maître de Karthoum, le Mahdi, et Gordon, ce général chevaleresque et pragmatique.

Quant à savoir si l’histoire se répète ou non, Héraclite pourrait bien avoir raison qu’« on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ».

Sima Dakkus Rassoul

Dans Khartoum assiégée, par Etienne Barilier, Phébus, 2018. Le livre est en lice pour le Prix des lecteurs de la Ville de Lausanne.

Photo ©Sandra Hildebrandt

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