Marcel Proust, la réfugiée et la mémoire


Marcel Proust n’écrivait pas pour le théâtre. Ce que nous voyons sur la scène du TKM Théâtre Kléber-Méleau, à Renens près de Lausanne, n’est pas une adaptation, mais ce sont les textes bruts de l’homme fragile qui écrivait dans son lit, mis en scène par Jean Bellorini. Ses phrases entrent en résonance avec d’autres propos plus modernes, plus actuels, ceux d’une Vietnamienne élevée dans les années 50 par une famille d’accueil dans le Berry.

Un instant met en scène quatre personnages. Deux sont devant nous, deux acteurs. Un homme, Camille de La Guillonnière, sobre, précis, le geste sûr, la diction claire, de l’aisance, du charme. Joue-t-il le personnage de Proust? Rien n’est moins sûr. Nous ne connaîtrons pas son nom. En tous cas, avec lui, les textes de Proust donnent l’impression d’être écrits, comme cela, pour être dits à haute voix. Hélène Patarot, joue cette réfugiée, arrivée en France toute petite pendant la guerre des Français en Indochine. Une formidable présence, lourde, lente, parfois drôle. Il faut l’avoir entendue nous donner des recettes de cuisine vietnamienne. Mais joue-t-elle vraiment ou son histoire est-elle vraie? On ne le saura pas.

Le troisième personnage, c’est la mémoire. Elle flotte autour de leur récit d’enfance, la mère que l’on veut garder près de soi, celle qui est décédée à l’hôpital et dont on ne se souvient pas. Et puis il y a les grand-mères qui, elles aussi, finissent par mourir. La mémoire est cet étrange personnage qui rôde au-dessus de nos têtes, que l’on déforme, qui s’étire, que l’on croit fidèle, mais est-on vraiment sûr de ces souvenirs d’enfance? Et d’ailleurs la mémoire existe-t-elle vraiment ou n’est-elle qu’une invention perpétuelle?

Et puis le personnage principal de ce très beau spectacle, c’est le langage. D’abord la phrase de Proust, qui étend la langue française jusqu’à sa limite la plus extrême de finesse et de subtilité en frôlant le maniérisme sans y tomber. Avec ses subjonctifs, sa syntaxe parfaite, nous entendons une langue presque morte, mais que nous comprenons parfaitement, qui nous renvoie à un monde disparu, sans écran, mais sans nostalgie non plus.

Il y a aussi la parole de la réfugiée, un français simple, élégant, sans fioritures et qui résiste parfaitement face à Proust, ce géant de la littérature que tout le monde connaît mais que (quasiment) personne ne lit. Les mots sont presque indépendants des personnages, ils existent en soi. Ils prennent leur envol et les comédiens doivent sans cesse les rattraper.

Le décor étonnant – des chaises, quelques bancs une pièce surélevée, en hauteur, irréelle – pourrait figurer une maison de retraite, un hôpital psychiatrique, un jardin public, mais c’est sans importance. Un instant se joue jusqu’au 27 janvier. Il reste des places. Allez-y! C’est un des spectacles les plus étonnants de la saison.

Jacques Guyaz

A voir jusqu’au 27 janvier au TKM à Renens.

Domaine Public

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