L’eau est là: une conduite d’eau polluée et un camion qui amènent de l’eau potable chaque semaine. C’est ce qu’a obtenu de Glencore la communauté wayu qui vit en bordure de la mine de charbon de Cerrejon, dans le nord de la Colombie (DP 2178).
Des années de pression et de manifestations ont fini par payer. Mais pas pour tout le monde. Ceux qui se sont battus pour l’avoir ne reçoivent pas d’eau potable.
Ainsi la famille du petit David, que j’ai visitée, doit continuer à acheter l’eau qu’elle boit et qu’elle utilise pour cuisiner. Au reste, elle dispose d’une eau polluée par elle ne sait quel poison – du mercure peut-être. Le petit David, âgé de 5 ans, est toujours vivant, mais il ne guérit pas et n’a pas assez de souffle pour courir et jouer avec ses frères et sœurs.
L’an dernier, le candidat pro-Glencore a gagné les élections locales. Peu après, le gouvernement a donné six chèvres à 120 familles qui vivent le long de la mine. Le nouveau préfet qui a procédé à la distribution n’a rien attribué à la famille de David. Pour la raison que l’on devine: ils n’ont pas voté pour lui.
La famille pense sérieusement à quitter ses terres et à s’installer près de Valledupar, métropole du département de La Guajira. En tant qu’activistes, ils se sentent de plus en plus isolés et refusent de se laisser acheter par Glencore.
Interrogée, l’ambassade de Suisse affirme que Glencore ne possède qu’un tiers du site minier de Cerrejon. La multinationale suisse ne peut donc être tenue que pour partiellement responsable. De son côté, la Banque mondiale évoque la disparition de l’Etat de droit dans les régions les plus pauvres de la Colombie: La Guajira, le Choco et le Nariño. Et la nécessité d’y remédier: «L’Etat doit renforcer sa présence, et rapidement.»
Ces régions, la plupart des Colombiens ne les connaissent pas voire les méprisent, sans doute parce qu’habitées par des Afro-colombiens ou des Indiens. C’est un reste de la colonisation. Depuis que je fréquente le pays, je fais à chaque fois le même test: je demande à mes interlocuteurs s’ils connaissent Nuqui, dans le département de Choco, la plus grande plage du Pacifique. En huit ans, le responsable de la communication de la Banque mondiale a été le premier à connaître Nuqui, que le site touristique Colombie Découverte présente comme «un paradis pour les amoureux de la nature».
Mais la disparition de l’Etat de droit ne concerne pas seulement les régions pauvres. Depuis les élections présidentielles d’août dernier, les assassinats de leaders sociaux ont considérablement augmenté, passant de 106 en 2017 à 190 en 2018. Les victimes de ces crimes impunis sont, sans surprise, des syndicalistes, membres d’associations locales, défenseurs des victimes de la guerre, membres d’associations de protection de l’environnement, etc.
Utilisant une méthode de prévision du temps appartenant à la tradition hispanique, un éditorialiste d’El Espectador examine ce qui s’est passé les premiers jours de l’année pour prédire ce qui se passera pendant les mois restants. Son pronostic est désespérant: six assassinats en dix jours. Pire: les assassins et ceux qui les ont commandités ne sont jamais découverts ni inquiétés – a fortiori jamais arrêtés.
On a l’impression de marcher sur des œufs. Tout le monde est un peu inquiet et les gens assurent même que «du temps des Farc, on savait au moins que, dans les zones qu’ils contrôlaient, des règles existaient et les gens qui y vivaient étaient tranquilles», Mettre en prison l’ELN, l’autre guérilla qui n’a pas déposé les armes, n’est que diversion qui permettra au gouvernement de ne rien faire.
Or les raisons de la guerre demeurent présentes. L’accumulation de la terre dans les mains des grands propriétaires fonciers. Selon le Programme des Nations unies pour le développement, 1,1% des propriétaires possède plus de la moitié des terres.
Sur les 21.5 millions d’hectares cultivables, seulement 4.1 millions sont exploités, ce qui fait de la Colombie le pays qui produit le moins de nourriture de tout le continent sud-américain. Avec l’actuel gouvernement et l’assemblée nationale nouvellement élue, il n’y a aucune chance qu’une réforme agraire puisse se réaliser.
Charlotte Robert