Chronique climatique – Les signaux sont au rouge vif, pourtant le monde politique n’est pas à la hauteur


Il faut applaudir les initiatives et manifestations des écoliers et étudiants de ces dernières semaines et espérer que ces actions vont se poursuivre sans faiblir. L’impact sur nos politiciens est révélateur, permettant de voir à quel point certains sont soudainement « concernés » par les problèmes climatiques… surtout lorsque des élections approchent, que leur survie politique et leur empreinte dans l’histoire sont en jeu : « Nous savons tous ce qu’il faut faire, mais nous ne savons pas comment être réélus une fois que nous l’aurons fait », a dit Jean-Claude Junker, Président de la Commission Européenne. 

 Malheureusement, cela ne suffit pas : notre planète ne sera pas sauvée par de belles paroles et de vagues promesses et professions de foi qui resteront probablement sans lendemain une fois l’échéance passée et quand le pouvoir et le porte-monnaie seront redevenus prioritaires.

Pendant ce temps, on peut se demander ce que font les acteurs économiques et financiers de notre société, eux qui sont responsables de la plus grande partie des émissions de CO2 et autres gaz à effet de serre (GES) et qui préfèrent laisser le peuple manifester pour autant qu’on ne s’occupe pas d’eux. Rappelons les chiffres de l’IEA : après 3 années de relative stagnation, les émissions de CO2 ont cru de 1,4% en 2017, atteignant la valeur record de 32.5 gigatonnes (GtCO2), avec un léger déclin des émissions aux USA, UK, Mexico et Japon dû principalement à l’introduction importante des énergies renouvelables malgré l’attitude négative de certains gouvernements. La répartition globale des émissions en 2015 en termes de secteurs d’activité était approximativement la suivante :

  • Production d’énergie (électricité et chaleur) : ~ 13 GtCO2 (40%)
  • Industrie : ~ 7 GtCO2 (21.5%)
  • Transports : ~ 8 GtCO2 (24.6%)
  • Bâtiments : ~ 3 GtCO2 (9.2%)
  • Autres : ~ 2 GtCO2 (5%)

L’équilibre ne s’est très probablement pas modifié de façon marquée ces dernières années. 

Pourtant les mentalités évoluent, même aux USA où, selon une enquête menée par l’Université de Yale l’année dernière, 73% des Américains pensent que le changement de climat est réel ! Malgré cela, la demande pour le pétrole est en augmentation et l’industrie de l’énergie est en train de planifier des investissements de l’ordre de plusieurs milliards de dollars.  A titre d’exemple, ExxonMobil prévoit une augmentation de l’ordre de 25% de l’extraction du pétrole et du gaz en 2025 par rapport à 2017. Si l’industrie dans son ensemble suit cet exemple, les conséquences pour le climat seront désastreuses. Dans le domaine des énergies fossiles, les « grands » (Chevron, ExxonMobil, Royal Dutch, Shell BP et Total) représentent 10% de la production de pétrole et de gaz et environ 16% des investissements : ils ne peuvent pas être laissés à eux-mêmes pour résoudre les problèmes climatiques malgré le fait qu’ils prétendent soutenir les accords de Paris et investir dans les énergies renouvelables : ils doivent être jugés sur les actes, pas sur les promesses.  Rappelons que selon le dernier rapport du GIEC la production de pétrole et de gaz devait diminuer de 20% jusqu’en 2030 et de 50% jusqu’à 2050 pour que l’élévation globale de la température soit maintenue en-dessous de 1.5°C par rapport aux valeurs préindustrielles. 

Mais faut-il rejeter la faute seulement sur les grands acteurs dans le domaine de l’énergie ? Il faut aussi admettre que les investissements dans les énergies renouvelables restent très faibles en comparaison de ceux attribués aux énergies fossiles. Ainsi, dans le domaine des transports, environ 85% du parc automobile sera encore dépendant des énergies fossiles en 2030. Et très peu de fonds d’investissement ont résilié leurs contrats avec les grandes entreprises conventionnelles, mis à part le fonds souverain norvégien (le « fonds pétrolier », environ $1000 milliards) qui vient de commencer à se dégager de ses actions dans les compagnies pétrolières.

De nouvelles propositions sont en phase d’élaboration, telle que le « Green New Deal » (à l’image du New Deal de Franklin Roosevelt) supporté par la «gauche» démocratique aux USA (Mme Alexandria Ocasio-Cortez) qui s’appuie sur le fait que du point du vue économique le changement de climat est un échec. D’une manière très simplifiée : les individus prennent des décisions peu écologiques (p. ex. en prenant l’avion) car le bénéfice obtenu dépasse le coût qui doit être supporté (le billet d’avion). Mais ces activités ont des coûts sociaux tels que la pollution, les accidents et la contribution dramatique aux émissions de gaz à effet de serre. Donc, pour combattre le changement climatique, il suffit d’inclure ces coûts sociaux aux prix payés par les citoyens : ainsi les activités « sales » deviennent-elles plus chères si bien que les consommateurs vont s’adapter en réponse à l’élévation des prix et ainsi réduire leurs émissions. On s’approche ici du principe de la taxe carbone. Le but serait d’atteindre les 100% d’énergie renouvelable d’ici 2030 environ et une émission nette nulle d’ici 2050. La solution est très probablement utopique et, de plus, loin d’être parfaite : elle nécessiterait des investissements publics massifs pour adapter les infrastructures dans les domaines de l’énergie, des transports, de la formation et au niveau social, entre autres.  A l’instar du premier New Deal mis en place pour gagner la deuxième guerre mondiale, le Green New Deal ou une taxe carbone généralisée rendront nerveux bon nombre de chefs d’entreprise et d’économistes.  Mais il n’y en a pas d’autre solution pour le moment et le temps presse. 

En effet, les 15 prochaines années seront critiques pour le changement de climat.  Tout semble indiquer que les ingénieurs, les investisseurs, les tribunaux et les associations n’arriveront pas à influencer suffisamment vite la consommation d’énergie fossile : la responsabilité repose donc sur le politique et nous ne prenons pas la bonne direction, au vu par exemple du retrait des USA des accords de Paris et de la volonté de l’administration Trump de ressusciter l’énergie du charbon.  En fait, il semble que nous nous trouvons face à une forme de démission des gouvernements qui sont pressés par les contraintes économiques, la pression des lobbies industriels, leur absence d’ambitions et la tentation du négationnisme climatique pour ne pas parler des échéances électorales. 

Lors de la dernière conférence COP24, les pays du monde et les Européens en particulier ont montré un spectacle désolant malgré le rapport alarmiste du GIEC. C’est donc maintenant aux citoyens d’agir, de secouer les édiles, d’entrer en « rébellion », voire de les trainer devant les tribunaux comme en Hollande en 2015 où les citoyens ont réussi à attaquer l’Etat avec succès devant un tribunal pour réduire des émissions de GES de 25% d’ici à 2020, jugement confirmé par la Cour d’appel de La Haye en octobre. Il faut prendre exemple sur le Danemark qui est en passe d’atteindre le niveau de 100% d’électricité renouvelable grâce à une coopération étroite entre production d’énergie et amélioration des capacités de stockage (Better Energy & Hybrid Greentech). Un exemple à suivre. Et il faut continuer à faire pression sur nos édiles, en manifestant comme l’on fait des milliers de participants le 10 mars au Danemark. 

Malheureusement, toutes ces (trop) timides actions ne semblent pas avoir le succès qu’elles mériteraient. Particulièrement en Suisse où le Conseil national, après avoir refusé une première fois la taxe carbone, a décidé de ne pas mener de débat spécial sur le climat durant la prochaine session de printemps. Où est donc l’urgence climatique réclamée par les étudiants dans les rues et par la presque totalité des politiciens à l’approche des prochaines élections fédérales ?

Finalement c’est la Banque Mondiale qui tente de lutter en faveur du combat contre le réchauffement climatique : dans un rapport récent « Groundswell – Preparing for internal Climate Migration », ses propres économistes concluent que, d’ici à 2050, plus de 140 millions de personnes dans les régions en développement pourraient devenir des migrants climatiques à cause du réchauffement. Et ce n’est pas tout : elle estime que d’ici à 2030 et sans action urgente pour diminuer les émissions de GES, ce sont 100 millions de personnes qui se retrouveront dans la pauvreté. Tout en gardant en mémoire que, selon un récent rapport de la Commission Globale sur l’Economie et le Climat , des actions radicales sur le changement de climat pourraient amener environ $26000 milliards de gains économiques jusqu´en 2030 !

Tous les signaux concernant le futur de notre planète sont au rouge vif, les opinions publiques commencent à se rendre compte de la gravité de la situation accompagnées dans cette réflexion par quelques industries et autres régions développées. En revanche la défection dans les faits de la majorité des gouvernements nous prédit un avenir sombre… et chaud !

Alain Heimo

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