La régénération de la démocratie passe par l’organisation de véritables débats citoyens territorialisés.


Le « grand débat national français » va se conclure fin mars par dix huit panels régionaux de citoyens tirés au sort et appelés chacun à délibérer sur les quatre thèmes du Grand débat national. C’est ce que j’appelais de mes vœux. Plus d’un million de contributions en ligne sur le net et des milliers de débats organisés localement pendant quelques heures ne disent en effet rien sur qui prend la parole.

En tant que citoyen franco-suisse, appelé à voter régulièrement lors des référendums suisses d’initiative populaire, je ne crois pas à la transposition de cette méthode en France : elle est trop profondément associée à la culture du consensus et, malgré la qualité générale des arguments présentés par les parties, assez mal adaptée à de grands débats de société. Par contre, l’idée de Georges Mercadal, ancien vice président de la Commission nationale du débat public, CNDP, qui consiste, lorsqu’un nombre suffisant de citoyens le réclament, à organiser un débat national délibératif dont l’organisation serait confiée à une CNDP rénovée, serait un bon moyen d’installer dans la société française une culture de la délibération fondée sur des panels de citoyens tirés au sort, dont le Parlement serait tenu d’examiner les conclusions.

De son côté, en Belgique et en s’inspirant du G1000 initié par David Van Reybrouck en 2011 et 2012, le Président de la communauté germanophone de Belgique et président du Comité des régions européennes, Karl Heinz Lambertz, vient de prendre pour sa communauté l’initiative ambitieuse d’une assemblée consultative composée de citoyens tirés au sort. Cette idée on le voit fait son chemin. Elle répond à ma conviction que la régénération de la démocratie passe par l’organisation de véritables débats citoyens territorialisés. Exactement ce que j’ai proposé pour un processus instituant européen, à organiser au lendemain des élections du Parlement, en mai prochain.

Improvisés, les dix huit panels français ne seront pas sans défaut : le risque demeure d’associer l’idée de « territoire » à celui de « quotidien » alors que l’enjeu du grand débat est bien que la France soit capable d’affronter les grands défis du vingt et unième siècle et que les démocraties retrouvent la capacité de définir des stratégies à long terme. Mais c’est un début dont les défauts mêmes inspireront les progrès par la suite. Restent deux points de vigilance : la transparence des débats et des synthèses ; l’information préalable dont disposeront les citoyens.

Transparence des débats et des synthèses. L’expérience montre combien il est facile de manipuler un débat citoyen par la manière de poser les questions et de proposer au panel des synthèses. Il est d’autant plus important d’adopter des méthodes assurant la traçabilité des débats et de la synthèse.

L’information préalable dont disposeront les citoyens. C’est souvent le point le plus faible, a fortiori dans le cas présent où les citoyens auront été tirés au sort au dernier moment et ne disposeront comme point de départ que de la lettre du Président Macron dont on a dit par ailleurs les faiblesses.

Attention de ne pas céder à la démagogie. Ce n’est pas parce que l’on est citoyen que l’on a pu réfléchir à des questions complexes. L’innovation ne sort pas plus de la bouche des citoyens que la vérité ne sort de la bouche des enfants. Le fondement de la démocratie, c’est la délibération de citoyens disposant du meilleur des informations venues de toute part, confrontant des points de vue contradictoires d’experts.

Pour donner une illustration concrète de cet enjeu, je me suis demandé quelle réflexion je proposerais aux panelistes sur la transition énergétique. Voici le fruit de mes cogitations :

1. Nos modèles actuels de production et de consommation et nos modes de vie ne sont pas viables à long terme, pas compatibles avec le partage équitable des ressources de la planète avec les autres sociétés et avec les limites de ces ressources.

2. Pourtant, nous n’avons pas encore engagé la transition indispensable. Les spécialistes du climat sont de plus en plus alarmistes, nos enfants et petits enfants prennent conscience que nous allons leur léguer une situation catastrophique et pourtant la transition vers un autre modèle de société n’est pas vraiment engagée. Nos démocraties semblent devenues incapables de concevoir et mettre en œuvre une stratégie à long terme seule capable de relever le défi.

3. La transition n’est pas seulement énergétique. C’est toute notre conception du développement économique qui est en cause mais aussi notre conception de la société et notre manière de la gérer, notre éducation, nos rapports à la nature et aux autres.

4. Les efforts doivent être équitablement partagés. Si, comme c’est le cas aujourd’hui, le poids des efforts à consentir ou les changements de mode de vie qui sont indispensables ne reposent que sur les moins aisés ou les plus fragiles ça ne marchera pas.

5. C’est au niveau des territoires de la vie, les villes, les pays ruraux que l’on peut concevoir et mettre en œuvre une politique globale de transition associant tous les acteurs et prenant en compte toutes les dimensions de la transition. C’est cette dynamique territoriale que l’État doit rendre possible, accompagner et soutenir en se transformant de façon radicale. Il n’est plus là pour concevoir des politiques qu’il demande aux collectivités territoriales de mettre en œuvre mais pour donner aux territoires les moyens de penser leur avenir à long terme, de définir et conduire leur politique de transition, et pour créer les conditions fiscales, juridiques, institutionnelles, scientifiques et techniques sans lesquelles les initiatives territoriales se heurtent à des obstacles insurmontables.

6. La seule solution pour concilier protection du climat et justice sociale est d’allouer aux territoires et, au sein des territoires, aux personnes des quotas annuels d’énergie fossile qu’ils pourront revendre s’ils savent faire des économies. Il faut réduire notre consommation d’énergie fossile au rythme de 5 à 6 % par an pour prendre notre part de la lutte contre une évolution catastrophique du climat. Ce qui veut dire que les quotas alloués aux territoires se réduisent à ce rythme. Y parvenir par la taxation n’est pas juste. C’est faire porter l’effort sur les plus pauvres. Il faut que chacun ait les mêmes droits de consommer de l’énergie fossile que les autres et permettre à ceux qui ont la volonté de changer leurs modes de vie, leurs moyens de transport, leur alimentation, d’isoler leur logement pour arriver à une sobriété heureuse de vendre à ceux qui veulent continuer à vivre comme avant, les quotas non consommés : au lieu que ce soit une sanction des imprévoyants, c’est une prime à ceux qui ont compris qu’il fallait changer et ont le courage et la joie de le faire.

7. La connaissance du taux de réduction des quotas chaque année, 5 à 6 %, permettra de concevoir des stratégies à long terme, associant tous les acteurs et touchant à l’éducation, la consommation, la mobilité, le logement, la santé, les relations entre villes et campagnes, l’agriculture, l’alimentation, la gestion des déchets, le recyclage et la réparation des biens durables, la création d’emplois locaux.

Pierre Calame

Blog de Pierre Calame

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