Lettre de Lima – Pas l’ombre d’une ligne sur la grève du climat dans les médias péruviens…


Or donc le monde des jeunes s’est mobilisé un peu partout (Photo Gérard Blanc: la grève du climat à Lausanne, 15 mars 2019), une nouvelle fois, dirais-je, pour dire aux gouvernements de cette planète leur envie de continuer à respirer sur cette terre pour les cent prochaines années. Et après, si possible! Il y avait foule en Suisse, dans ce pays à l’avant-garde de la proteste. Mais aussi et surtout en France, avec des participations fabuleuses à Paris et dans d’autres villes de l’hexagone.

A Lima, vendredi dernier, une marche a parcouru quelques artères de la capitale. Modeste cortège, quelque 200 à 300 personnes tout au plus. Un début sans doute! J’ai cherché partout dans la presse péruvienne, quotidiens, chaînes TV et tout ce qui est médias. Ces derniers étant bien trop occupés à mettre à jour leurs archives sur la corruption, qui n’en finissent pas de grossir. Et qui épuisent les stocks d’encre.  Pas l’ombre d’une seule ligne consacrée à cette colère mondiale des jeunes. Une colère qui exprime pourtant pacifiquement une inquiétude légitime face aux pouvoirs économico-politiques du tout aux profit immédiat.

Alors j’écoute. Et je m’effraie face à tout ce qui semble fait pour relativiser ce mouvement de masse. Les exemples foisonnent: A Paris, la proteste a réuni selon le décompte indépendant d’Occurrence, pour le compte de plusieurs médias, quelque 45’000 personnes, 50’000 selon le quotidien Libération. Mais 25’000 pour la préfecture. Qui compte bien entendu ce qui l’arrange. Et avec elle l’Elysée.

Même topo en ce samedi, à Paris toujours, avec la « Marche du siècle » et sa vague déferlante verte et jaune pour le climat et la justice sociale en France. Selon les organisateurs, les insoumis de la résignation étaient plus de 100’000 dans la capitale, et 350’000 en France. La préfecture de police de Paris y est allée de sa version toute personnelle, son couplet abrégé, en chiffrant avec des airs de fausses notes volontaires l’affluence parisienne à 36’000 personnes. Autrement dit, trois fois moins que les chiffres fournis par les organisateurs. 

De 107’000 à 36’000, il y a une marge. Sans doute d’optimisme chez les uns, mais d’une interrogeante mauvaise foi chez les autres. Une forme de violence, là aussi, n’est-ce pas? De là à dire que la préfecture se moque du monde en minimisant à ce point ce flot de revendications. Elle ne pourra cependant masquer bien longtemps la colère qui pourrait bien monter encore… Et encore!

Alors j’écoute. Et je m’effraie, face à l’attitude, plus proche en Suisse, qu’adoptent certains directeurs des écoles du secondaire dans le canton de Fribourg, notamment. Avec une tolérance zéro. La note que je leur attribue, moi. Que je leur inflige! Crade ignorance pour répondre à un monde dans lequel les jeunes se sentent en danger. Sont en danger. Des étudiants et des ados qui battent néanmoins le pavé malgré les interdits de quelques recteurs qui n’ont pas encore compris que la lutte contre le dérèglement climatique est devenue pour eux une priorité. Celle de leur survie! Pour que la politique en fasse une priorité. A quoi, je te le demande, peut bien servir d’être bardé de diplômes pour un avenir qui s’annonce pour le moins incertain, avec une planète moribonde? A quoi? 

Le tollé suscité par la note de 1 – attribuée aux étudiants grévistes du Gymnase intercantonal de la Broye le 18 janvier – puis annulée sous la pression et le ridicule qui n’échappent à personne – n’a décidément pas servi de leçon auxdits directeurs des écoles du secondaire. Selon eux, la participation à une grève en faveur du climat n’est pas considérée comme un motif d’absence valable. Ainsi pour eux, le futur de ces gosses, les nôtres, nos petits-enfants, qui prennent les choses en mains, là où démissionnent les politiques face aux multinationales du monde du profit et de la pollution, n’est pas « un motif d’absence valable »? Les bras m’en tombent!

En cas d’absence injustifiée disent ces maîtres à penser de la pédagogie au jour le jour, la note de 1 sera attribuée. Nul doute, mon optimisme prenant souvent le pas, que les profs du secondaire, un peu moins…. et surtout un peu plus… bref, moins c… ont eu la délicatesse de reporter les évaluations programmées à une date hors grève. Histoire de ne pas porter préjudice à des étudiants à quelques mois de la fin de l’année scolaire.

Le climat et la politique. Où plutôt les politiciens? Marrant, comme à l’approche d’élections en Suisse, notamment, les hommes de Berne, qui biffèrent de leurs préoccupation l’inscription de la loi sur le CO2, en décembre 2018, balbutient aujourd’hui des pseudo-inquiétudes. Aussi vides qu’un long fleuve asséché par les rigueurs du changement climatique…

Heureusement qu’ils peuvent compter sur l’appui du professeur en écologie industrielle à l’UNIL, Suren Erkman. Qui déclarait Urbi Orbi après la grève de vendredi dernier sur le petit écran du TJ de la RTS, que « le monde politique ne peut pas tout faire et il a aussi déjà beaucoup fait ». Ah oui, comme la décision de décembre sur le CO2, ainsi que le préconisaient les défunts « Accords de Paris »?

Dans la foulée, il évoque l’apparition de la jeune suédoise Greta Thunberg sur la scène médiatique, qui s’appuie, dit-il, « sur une vraie démarche, bien documentée. C’est une opération de communication, bien montée. J’ai de la peine à croire que ce soit totalement spontané ». Une considération qui ne le grandit pas, à mes yeux, alors que les jeunes de ce monde ne demandent qu’à pouvoir grandir. Eux!

Pierre Rottet

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