Les ménages aux revenus modestes exclus des villes


La densification et la rénovation des centres urbains ainsi que les mesures en vue de favoriser la transition énergétique sont à l’origine d’une hausse du prix des loyers dans les villes. Une hausse stimulée par la pression d’un marché immobilier qui a transformé progressivement le logement de bien de première nécessité en un objet de placement et de spéculation. Les ménages à revenu modeste et faible ne peuvent plus habiter dans les villes.

C’est une étude menée par la Haute école de travail social de Zurich qui l’affirme. Le constat se concentre sur la situation de la ville de Zurich, mais reste pertinent pour les villes de Suisse romande.

L’attractivité des villes augmente

Dans les années 80, les villes se dépeuplent. On migre pour habiter à la campagne. La ville est assimilée à une mauvaise qualité de vie dominée par le béton, la pollution, l’anonymat, l’absence de places de jeu pour les enfants. N’y restent que ceux qui ne peuvent pas faire autrement, les personnes âgées, les pauvres, les migrants et les chômeurs (les groupes des «A» en allemand: Alte, Arme, Ausländer, Arbeitslose).

Depuis le début des années 2000, la dynamique change radicalement. Sous l’effet de politiques urbaines soucieuses d’un environnement de qualité lié à la modération du trafic, au mobilier urbain et à la présence d’espaces verts, l’habitat urbain regagne en attractivité. Le nombre des habitants augmente de manière significative. Même les familles cherchent à y habiter, à condition bien évidemment de disposer de revenus suffisants.

La transformation du marché immobilier urbain

Les politique urbaines des grandes villes suisses s’accompagnent de changements importants dans le marché immobilier. Des friches ferroviaires, artisanales et industrielles sont affectées à l’habitat. On y construit de nouveaux appartements. D’anciens bâtiments sont agrandis, rénovés.

La renaissance urbaine offre des perspectives intéressantes aux investisseurs, y compris dans le locatif. En Suisse, 60% des ménages habitent dans un appartement de location. Ce taux dépasse 80% dans les cantons les plus urbanisés comme Bâle-Ville et Genève.

Parallèlement, on observe une évolution du type de propriété. Parmi les propriétaires de biens à louer, la part des particuliers se réduit au profit de sociétés immobilières et de placement; en ville de Zurich, cette part est passée de 57,2% en 1956 à 37,9% en 2015. Le bâtiment locatif devient un objet de spéculation. Son prix d’acquisition et son loyer ont explosé au cours de ces dernières années. Les sociétés immobilières et de placement recherchent le rendement.

Autre effet pervers sur les loyers, les coûts des mesures prises pour accroître l’efficacité énergétique des bâtiments. Pour les locataires, cela provoque des hausses de loyer qui ne sont pas compensées par une réduction correspondante des frais d’énergie. Aucune considération sociale n’accompagne la politique énergétique actuelle.

Se loger en ville devient un privilège réservé aux ménages à revenu élevé. (DP 2120). Une étude réalisée dans le cadre du programme fédéral contre la pauvreté confirme cette tendance. Les ménages précaires et pauvres doivent souvent assumer un loyer qui dépasse 30% de leur revenu pour des appartements plus petits et souvent mal situés. Et la majorité d’entre eux ne peut plus se loger en milieu urbain.

On ajoutera que l’accès à la propriété est devenu quasi impossible pour les jeunes couples, compte tenu de son coût et de la part des fonds propres exigés. On parle de gentrification des centres villes, réservés aux ménages aisés.

L’apport des coopératives de logement

Les coopératives de logement sont souvent présentées comme des alternatives aux logements offerts par le secteur privé. Les loyers y sont inférieurs de 15 à 25% selon les villes. Mais leur nombre demeure encore faible. A l’exception de la ville de Zurich où elles représentent un quart du parc immobilier (leur part devrait passer à un tiers après un vote populaire en 2011), elles ne dépassent pas 10%.

Mais la plupart des coopératives ne poursuivent pas des buts sociaux. Accéder à un logement d’une coopérative signifie disposer de fonds propres pour en devenir membre et souvent partager une culture du «vivre en communauté», ce qui exclut souvent des ménages à revenu faible ou modeste.

Pour les auteurs de l’étude, il appartient aux villes de procéder aux investissements nécessaires aux logements à vocation sociale. Une évaluation (Beck) présentée aux journées 2017 du logement de l’Office fédéral du logement, portant sur 63% des communes suisses, a recensé 45’000 logements en propriété communale. La ville de Zurich en posséde à elle seule 15’000. Mais encore faut-il que les critères d’octroi privilégient des objectifs sociaux, ce qui est loin d’être le cas actuellement.

Un constat à généraliser?

Comme indiqué, le constat relatif au marché immobilier se concentre sur la ville de Zurich. Peut-on le généraliser à d’autres villes, notamment de Suisse romande?

Les auteurs observent que les transformations de la propriété immobilière à Zurich se retrouvent à Genève où le marché est largement dominé par des investisseurs en quête de rendement. Les sociétés immobilières, assurances, caisses de pension, fonds de placements et banques détiennent près de 45% des logements en région lémanique.

On sait que les cantons de Genève et Lausanne développent des politiques du logement soucieuses de créer des logement à loyer abordable. Des communes et des coopératives réalisent des logements dont le loyer est dit «abordable», soit en général 20% inférieur au prix du marché. Mais cette cette offre ne sera pas à même de répondre à la demande sociale de ménages à revenu modeste et faible.

Michel Rey

Domaine Public

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