Lutte contre le dérèglement climatique, éléments de langage


Les manifestations désormais régulières en faveur du climat réunissent des participants parfois très jeunes, ce que l’on comprend aisément. Une personne âgée de 20 ans aujourd’hui partira à la retraite vers 2065 et le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) nous promet des dérèglements climatiques majeurs pour la seconde moitié du siècle.

Dans la mouvance des groupes qui luttent pour le climat, Extinction Rebellion est apparu soudain, en Suisse comme ailleurs, en bloquant la circulation sur le pont Chauderon à Lausanne pendant une heure lundi matin 15 avril, le temps d’un petit-déj. Action rondement menée dans les règles de l’art de la communication dans les médias et sur les réseaux. Mais amplification promise, qui risque d’être moins bisounours.

Le nom du groupe est bien trouvé. Extinction Rebellion, ça a de l’allure et ça claque. Il s’agit bien sûr de se rebeller contre la sixième extinction de la diversité du vivant sur la planète qui est en train de se produire maintenant. Mais il n’y a pas d’accent aigu sur le «e» de rébellion. Ce n’est pas un oubli. Il s’agit d’un mouvement né en Angleterre et ça tombe bien, la langue anglaise a repris quasiment tels quels les mots français extinction et rébellion. Depuis le WWF et Greenpeace (et Credit Suisse), nous avons pris l’habitude des dénominations non traduites. Difficile de faire autrement, mais restons attentifs à une évolution qui tend à dévaloriser les autres langues du globe – qui risquent elles aussi de faire partie de la sixième extinction.

Les mots utilisés par ce mouvement, les éléments de langage comme on dit aujourd’hui, sont significatifs. L’adjectif «disruptif» a été utilisé par le porte-parole du mouvement pour définir son action. Ce terme brusquement à la mode depuis deux ou trois ans a surtout été utilisé par Emmanuel Macron dans sa campagne présidentielle. Il faut être disruptif, autrement dit, casser, rompre pour construire autre chose.

Il y a 40 ou 50 ans, on aurait sans doute dit «révolutionnaire», mais ce terme, trop englobant, dévalué par l’histoire du 20e siècle, est aujourd’hui obsolète. Utiliser «disruptif», qui n’est pas, ou en tous cas pas encore, un mot populaire est aussi une manière de se situer dans un entre-soi relativement élitaire, sans doute à l’insu de nombreux utilisateurs de cet adjectif.

Les membres d’Extinction Rebellion veulent une action du «gouvernement». Ils ne mentionnent pas le Conseil fédéral. Parler du gouvernement tout court est peu fréquent en Suisse – à moins d’en indiquer le niveau cantonal ou fédéral. Dire simplement gouvernement est une manière de rendre l’exécutif plus abstrait, plus lointain, de le séparer des citoyens, d’être disruptif en somme. Mais si vous dites «Conseil fédéral», vous êtes aussitôt de plain-pied dans la mécanique de la politique suisse. 

Les membres de la «communauté XR» s’y refusent-ils? Font-ils passer la désobéissance civile avant la connaissance des institutions? Pour être efficace au-delà de quelques jolies actions de communication qui permettent de se faire connaître, il faut bien entrer dans le jeu politique à un moment ou à un autre.

Dis-moi comment tu parles, je te dirai qui tu es.

Jacques Guyaz

Domaine Public

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