Toujours plus vite, toujours plus loin, mais la mobilité a ses limites


Se déplacer aussi rapidement que possible est une préoccupation constante dans nos sociétés. Aujourd’hui, on parle même d’un droit à la mobilité comme condition de succès de sa vie professionnelle et sociale. N’y aurait-il aucune limite à ce droit? Sommes-nous condamnés à nous déplacer toujours plus vite et toujours plus loin?

Yves Crozet développe une réflexion intéressante pour comprendre le rôle de la vitesse dans notre société. De nature économique, son analyse met l’accent sur le coût de la mobilité, longtemps ignoré. Et la prise en compte de ce coût permet d’orienter les choix individuels et collectifs en matière de transports.

La recherche des gains de vitesse a marqué l’histoire des transports. Les trains, les automobiles et les avions ont sans cesse accru leur vitesse maximale. Cette fascination pour la vitesse physique est logique dans un monde où le revenu par habitant progresse constamment. Pour Crozet, «vitesse et pouvoir d’achat sont étroitement associés dans ce qui mérite d’être appelé la révolution de la mobilité». Cette course à la vitesse, et donc à l’accroissement de la distance parcourue, est-elle irréversible?

La vitesse économique pour les choix individuels

Pour répondre à cette interrogation, Yves Crozet se réfère à la «vitesse économique»: combien de kilomètres puis-je effectuer au prix d’une heure de travail? Le pouvoir d’achat d’une heure de travail (au salaire minimum) en termes de litres d’essence, a plus que doublé en France entre 1970 et 2017. Autant dire que les déplacements en voiture ont été encouragés. 

La démonstration vaut également pour le prix des voyages en avion. En termes d’heures de travail, leur coût a baissé. Au point que les Suisses figurent parmi les champions des déplacements aériens.

La vitesse socio-économique pour les choix collectifs

Cet accroissement de la vitesse économique est appréciée des usagers des transports. Mais l’explosion de la mobilité génère des problèmes environnementaux et soulève des questions en termes de qualité et de capacité des infrastructures. Ces coûts externes des transports se calculent sous la forme d’une «vitesse socio-économique». C’est le coût du kilomètre parcouru qui prend en compte le paiement par l’usager mais aussi tous les coûts indirects supportés par la collectivité (bruit, pollution, insécurité, investissements dans les infrastructures…).

Si la vitesse socio-économique excède la vitesse économique pour l’usager, alors la collectivité est légitimée à définir des politiques de mobilité qui peuvent être modulées pour chaque type d’espace (urbain, rural) et par type d’utilisateur de transports (public, privé).

La remise en cause du dogme de la vitesse

Crozet constate que le dogme de la vitesse est aujourd’hui remis en cause. Il parle d’un «tournant de la mobilité». Pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, le coût très élevé des nouvelles infrastructures de transport. Investir des milliards pour rectifier un tronçon ferroviaire ou élargir une autoroute pour gagner quelques minutes, devient difficile à justifier.

La priorité est plutôt donnée aux mobilités de la vie quotidienne, à l’entretien des réseaux existants tant routiers que ferroviaires. Pour une collectivité, c’est l’espace et non plus le temps qui devient la ressource la plus rare. L’automobile consomme beaucoup d’espace (voirie, stationnement) qu’elle doit partager avec les autres modes de déplacement urbain.

Socialement, la vitesse est aujourd’hui remise en question sur les routes. Pour réduire le nombre d’accidents mais aussi le bruit, la pollution et la congestion, les vitesses limites sont régulièrement abaissées.

La «fringale du toujours plus, toujours plus vite» est perçue de plus en plus comme une forme d’aliénation bien plus qu’une libération. On passe plus de temps à travailler pour acheter et entretenir sa voiture que ce qu’elle nous procure comme gain de temps. Yves Crozet rejoint les réflexions d’Ivan Illich (Energie et équité, Le Seuil, 1973) pour qui il était temps de «prendre conscience qu’il existe, dans le domaine des transports, des seuils de vitesse à ne pas dépasser».

La quête permanente de la vitesse provoque également des effets pervers sur la vie personnelle et collective. Le succès foudroyant des smartphones à l’échelle mondiale est lié à la baisse tendancielle de leur prix, mais aussi aux gains de temps qu’ils permettent. Cependant on connaît la dépendance qu’ils génèrent au point qu’on peut les assimiler à une véritable addiction.

Ce tournant en matière de mobilité est lié à une prise de conscience: le temps de transport n’est pas simplement un coût que l’on veut toujours diminuer. On cherchera toujours à réduire son budget de temps dédié au transport, mais ce temps est aussi utilisé pour combiner ses activités. C’est le cas des pendulaires qui s’occupent du transport des enfants à l’école et pour faire leurs achats quotidiens ou qui profitent de leur déplacement pour travailler dans le train.

Les enjeux de la transition écologique

La réduction des émissions de CO2 est une tâche ardue. Crozet constate que, depuis des décennies dans les pays développés, les politiques de transport sont fondées sur l’idée qu’il faut étendre à l’ensemble de la population l’accès à toutes les formes de mobilité.

L’Union européenne a privilégié le développement de la concurrence comme un facteur clé de la réduction des coûts et de l’accroissement de la demande. Le transport aérien est révélateur de ce choix. La déréglementation du secteur a contribué à une baisse significative du prix des billets d’avion.

Pour les vols intra-européens, le prix pour le passager est désormais d’environ 5 centimes d’euro pour un kilomètre, soit deux fois moins qu’un déplacement en train (10 centimes) et cinq fois moins qu’en automobile (environ 25 centimes). Il n’est donc pas surprenant que le nombre de passagers dans les aéroports ait augmenté beaucoup plus vite que le trafic automobile, qui lui-même progresse plus vite que le trafic ferroviaire.

Les politiques européennes de transport placent beaucoup d’espoirs dans des solutions techniques. Pour réduire les émissions de CO2, on veut améliorer les performances des véhicules et surtout changer de source d’énergie en misant sur les moteurs électriques et à hydrogène. Crozet doute que ces solutions puissent s’imposer rapidement et soient appropriées pour contribuer de manière significative à la transition écologique.

Michel Rey

Domaine Public

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