Poussière demain de Pierre Yves Lador
Il est des auteurs qui vous ouvrent des univers. Et si vous y entrez, vous avez passage libre. Qualité rare que celle des écrits de Pierre Yves Lador qui conjuguent avec générosité la part de solitude nécessaire pour voyager dans un livre et la gourmandise du partage.
Pierre Yves Lador, Prix des Écrivains Vaudois 2013, est un auteur prolifique et un écrivain dense. Il surfe sur l’arachnéen, symbole de transparence et de résistance. Il apparaît comme un acrobate de la pensée et du verbe, si bien qu’on le lit en s’enroulant sur soi. On croit atterrir et non , hop, on pirouette rebondissant plus loin. Un humour bien à lui relie ces mouvements ludiques. Une écriture qui rend justice à l’imaginaire de l’errance et qui confine au voyage intersidéral.
De son oeuvre foisonnante, Les chevaux sauveurs -Héice Hélas, 2015, merveilles, Solide obsidienne, Age d’Homme, 2000, magie de chasser le réel hors de ses limites, pour n’en évoquer que deux styles. Essais, pamphlets, récits érotiques ne sont que quelques autres champs, au sens écologique des sciences du vivant, qui sont explorés par l’écriture de Pierre Yves Lador. L’ampleur de son oeuvre montre les généreuses frontières de son « gai savoir » et son goût du vaste monde. Ce n’est guère une question de géographie, mais d’architecture visionnaire d’une carte des possibles.
Sa philosophie de l’espace se déplace de manière concrète et onirique à la fois. Il vous transforme un champ en terrain d’expériences, de rencontres impromptues voire improbables avec des êtres, des objets, tous porteurs de mystères qui s’ouvrent à lui, et à nous, en le lisant.
Quelle mouche me pique donc quand je lis Pierre Yves Lador? Celle de l’union bienheureuse du rêve et de l’éveil de l’être. On dirait qu’un nectar des plus enivrants, distillé dans ses mots et leur agencement au fil d’une pensée vivante, opère un travail d’orfèvre.
Il n’y a rien d’anodin, tout est investi de sens et de non-sens. Sens dessus-dessous, les propres et les figurés auxquels il offre les effluves de la magie sans en livrer les secrets alchimiques. Son regard voit – là où on serait tenté de séparer le petit du grand – une herbette enveloppée de son aura somptueux et universel. Alors exit les apparences sinon pour y déceler les petits riens qui laissent subodorer le tout.
Son roman Poussière demain, roman onirique européen, paru aux Éditions Olivier Morattel en 2018, jette un sublime pavé dans la science, la recherche qui consiste à percer ce que la beuse de vache révèle du tri naturellement organisé par la matière la plus intime de la biologie. L’orgueil du sapiens en prend un sacré coup. Eh oui, tout est en transit sur terre et la nourriture qu’on ingère lève le voile sur l’alchimie organique qui ordonne notre substance. Impossible de s’en laver les mains avant de les y avoir plongées. Bas les masques.
Les joies de la lecture sont promises à qui lire est un voyage sur l’aile de l’imaginaire. Entre les pages de Poussière demain courent, telles les esquisses d’un architecte, des interludes, étages habitées par des mythes dont l’éternité et la puissance n’ont pas de date de péremption.
Comme dans les contes, des êtres naturels redécouvrent leurs dimensions surnaturelles et inversement. Les trois scientifiques en quête des secrets de la circularité de la chaîne alimentaire des ruminants en ressortent titillés par le vertige du doute qui est la substantifique moelle de tout savoir sérieux.
Sima Dakkus Rassoul
