A Evian, (re)découvrir l’expressionnisme à travers deux collections, allemande et suisse


En 2006, la ville d’Evian a ouvert les portes de son Palais Lumière, comprenant un centre de congrès et de séminaires, ainsi qu’un espace culturel voué aux expositions. Le hall principal de cet ancien établissement thermal restauré à l’identique, avec sa coupole, ses vitraux et ses fresques Art nouveau, est un superbe témoignage de l’architecture des villes d’eaux des débuts du 20e siècle et vaut en lui-même la visite.

L’exposition actuelle, consacrée à l’expressionnisme allemand, se révèle d’autant plus utile du fait que le public français connaît mal ce mouvement essentiellement germanique, quand bien même Paul Gauguin et Henri Matisse ont exercé sur ses créateurs une influence importante. Les quelque 140 chefs-d’œuvre qui la composent, où sont représentés tous les grands noms de l’expressionnisme, proviennent d’ailleurs du Osthaus Museum Hagen et de l’Aargauer Kunsthaus.

L’expressionnisme a été un facteur essentiel du passage à la modernité artistique au 20e siècle. Il était d’ailleurs lui-même un reflet critique d’une autre modernité, industrielle et urbaine, qui a fortement marqué l’Allemagne wilhelmienne. Il se voulait l’expression du Zeitgeist (l’esprit du temps), avec une dimension à la fois tragique et rebelle. Tout a commencé en 1905 avec la fondation du groupe Die Brücke de Dresde. On y trouvait Ernst Ludwig Kirchner, Karl Schmidt-Rottluff, Fritz Bleyl, Erich Heckel et Max Pechstein. Puis naquit en 1912 à Munich le groupe du Blaue Reiter, du nom du célèbre tableau de Franz Marc. Y participèrent, entre autres, August Macke, Wassily Kandinsky et le peintre russe Alexej von Jawlensky.

L’exposition d’Evian se décline de manière thématique. Une première salle est consacrée aux paysages. Les expressionnistes se voulaient en effet en contact étroit avec la nature, loin de la vie déliquescente des grandes villes, avec leur misère, leur prostitution, leur laideur industrielle, qui constituèrent également des thèmes importants de leurs tableaux et gravures.

On remarquera les couleurs exubérantes d’Emil Nolde, avec une dominante des rouges, tant dans ses paysages que dans la représentation de ses personnages, marqués par un érotisme violent. On peut appliquer aux expressionnistes les mots de Derain datant de 1905 à propos des fauves: «Les couleurs devenaient des cartouches de dynamite». Kirchner, lui, a superbement peint de verts crus et de violets forêts et montagnes, notamment lors de son séjour à Davos qui s’acheva avec son suicide en 1938.

Le paysage sans doute le plus poignant montré dans cette exposition est Le printemps dans les Flandres, de 1916, alors qu’Erich Heckel servait comme ambulancier pendant la Grande Guerre: une nature désolée, des arbres nus, des champs où il n’y a plus de présence humaine, sous un ciel lourdement chargé de nuages sombres.

Les expressionnistes ont beaucoup bénéficié du renouvellement de la gravure sur bois, auquel ils ont participé. On en voudra pour preuve la série de Max Beckmann consacrée à la ville moderne: vie mondaine d’une bourgeoisie représentée de manière grotesque, visages libidineux de mâles en rut devant des prostituées ou des spectacles de cabaret érotiques, mais aussi mendiants, et tous les déçus de cette société. Le message politique se fera plus incisif encore après la défaite de 1918, sous la République de Weimar, avec George Grosz (non représenté dans l’exposition).

On notera aussi l’importance du portrait dans le groupe des expressionnistes: ce qu’ils nommaient le Gesicht se référait non à la physionomie du visage mais à l’état d’âme de l’artiste. C’est ainsi que nombre de ces portraits sont soit schématisés, soit déformés – comme le sont les corps nus sous leur pinceau – soit démoniaques.

Notre description non exhaustive de cette riche et belle exposition permet de voir que tous les thèmes importants de l’expressionnisme y sont représentés. A ne pas manquer donc!

L’univers poétique et mondain d’Anna de Noailles

S’il est une poétesse peu lue et assez oubliée aujourd’hui, c’est bien Anna née princesse Bassaraba de Brancovan, devenue par mariage Anna de Noailles (1876-1933).

L’exposition que lui dédie la Maison Gribaldi, consacrée au patrimoine d’Evian, se justifie par sa fréquentation des rives du Léman, à Amphion, jusqu’à la première guerre mondiale. Elle considérait en effet avoir «goûté au paradis» dans cette région.

Anna de Noailles (que certains jugeaient insupportable par sa manière de monopoliser la conversation dans les soirées mondaines…) connut une grande notoriété dans les milieux littéraires parisiens, de la Belle Epoque au début des années 30. Elle fréquenta notamment Marcel Proust, et l’on peut tout à fait se la représenter comme l’un des personnages de la Recherche du temps perdu. Une riche collection d’objets, de photographies et de tableaux permet au visiteur de se plonger dans sa vie et dans son œuvre littéraire, faite de vers délicats, et d’apprécier aussi ses qualités de peintre au pastel.

La Maison Gribaldi jouxtant le Palais Lumière, on pourra profiter de sa journée à Evian pour voir cette deuxième exposition.

Pierre Jeanneret

Domaine Public

«L’Expressionnisme allemand», Palais Lumière, jusqu’au 29 septembre et «Goûter au paradis. Anna de Noailles sur les rives du Léman», Maison Gribaldi, jusqu’au 3 novembre

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