La honte de prendre l’avion


Seul 5% de la population mondiale a déjà pris l’avion. Et pourtant, c’est cette population-là qui est responsable des importantes émissions de CO2 que dégage le transport aérien. Quoi qu’en disent beaucoup de transporteurs aériens (et surtout les compagnies lowcost), prendre l’avion pour partir en vacances nuit davantage au climat que de rouler en voiture et de chauffer sa maison au pétrole pendant une année. 

Un autre phénomène amplifie cette évolution

Aujourd’hui, prendre l’avion est devenu  ridiculement bon marché. Cela a pour effet, certes, de démocratiser ce mode de transport, jusqu’alors réservé à une clientèle fortunée. Mais le phénomène a perdu complètement son sens social, l’avion étant devenu, pour les personnes aisées, comme pour celles qui le sont moins, une occasion de voyager pour un oui ou pour un non. On peut, par exemple, aller passer une journée à Barcelone pour y faire du shopping. Le climat en prend un coup. On constate que l’aviation contribue à raison de 5% aux changements climatiques causés par l’homme à l’échelle mondiale, et même pour plus de 18% en Suisse. Si l’évolution actuelle du trafic aérien  se poursuit, ce chiffre pourrait atteindre 22% d’ici 2020.

L’exemple suédois

Pour suivre leurs interminables hivers, les Scandinaves, et surtout  les Suédois ont toujours eu la réputation d’être de grands voyageurs, mais, depuis peu, la vague verte sur laquelle ils sont en train de surfer, a déclenché le «Flygskam» (la honte de prendre l’avion en français), qui se manifeste surtout chez les jeunes qui, de plus en plus, souhaitent  contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique.

De plus en plus de Suédois choisissent également le train au détriment de l’avion afin d’alléger leur empreinte carbone. On cite volontiers le cas de Greta Thunberg, figure de proue de la lutte pour le climat, qui a effectué 32 heures de train pour se rendre à Davos. Plusieurs autres initiatives suédoises peuvent être citées. 250 employés de l’industrie cinématographique ont ainsi signé une tribune dans le quotidien Dagens Nyheter, demandant aux producteurs suédois de limiter les tournages à l’étranger pour des raisons climatiques. En mars 2019, le magazine du WWF a publié une enquête indiquant que près d’un Suédois sur cinq avait choisi au moins une fois de voyager en train plutôt qu’en avion afin de minimiser son impact sur l’environnement,  une tendance davantage marquée chez les femmes et les jeunes. Swedavia AB, qui gère dix aéroports suédois, fait état d’une baisse du trafic passager, et ce, pour la première fois depuis 2009. Sur un an, les vols intérieurs ont reculé de 6 % et les internationaux de 2 %. Au premier trimestre 2019, avec la médiatisation du mouvement, le nombre de passagers a reculé de 4,4 % sur l’ensemble des 38 aéroports suédois. 

La fameuse taxe

Lors des campagnes pour les élections fédérales suisse du premier tour, l’imposition probable d’une taxe sur les billets d’avion a été l’épouvantail agité par certains partis politiques. Il va certainement être encore agité pour le second tour. Certes, les nouveaux élus devront maintenant prouver que l’argent récolté ira effectivement dans la lutte contre les énergies fossiles.  Mais au-delà de cet aspect purement fiscal, cette taxe aura pour mérite de remettre un peu d’ordre dans le trafic aérien. En voyageant aussi bon  marché par avion alors que le train coûte parfois plus cher pour un parcours équivalent, on ne mesure souvent pas assez les conséquences. Lorsqu’un produit est aussi peu cher, il faut bien s’imaginer qu’il y a des perdants quelque part. Dans le cas des compagnies aériennes lowcost, les prix pratiqués n’arrivent parfois pas à couvrir les frais d’exploitation, et certains avions volent à perte. Les situations financières des compagnies en question ne sont parfois pas suffisamment solides pour palier des imprévus, comme, par exemple, l’affaire des Boeing 737 MAX cloués au sol, la pénurie de pilotes, la fluctuation du prix du kérosène. Mais il ne faut pas occulter les retombées négatives sur les employés dont les salaires et les conditions de travail sont à des niveaux inimaginables. Il faut aussi ajouter les faillites en chaîne que l’industrie aérienne vient de connaître et qui déclenchent une série de catastrophes avec des employés perdant leur travail, des clients non remboursés ou laissés en rade quelque part dans le monde. 

Contrairement au trafic automobile ou ferroviaire, le secteur aéronautique ne paie jusqu’à présent aucune contribution pour la protection du climat. Il est même exonéré d’impôts: les compagnies aériennes ne versant aucune taxe sur les hydrocarbures pour le kérosène, et les passagers ne s’acquittant d’aucune taxe sur la valeur ajoutée. En outre, nombreux sont les aéroports qui ont été construits grâce à des prêts publics gratuits ou peu onéreux. L’aviation est donc subventionnée directement ou indirectement depuis des années, et continue de polluer l’environnement avec la même intensité.

Réactions

Alors que de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer les déplacements abusifs en avion, une enquête réalisée par UBS révèle que de nombreux voyageurs réduisent leurs vols en raison de leur impact sur l’environnement. Une personne sur cinq sur les 6 000 ayant participé à cette enquête de la banque a déclaré que la « honte de prendre l’avion » l’avait incitée à changer ses plans de voyage. 

Au Royaume-Uni, 16% des personnes interrogées ont déclaré qu’elles prenaient moins l’avion en raison de l’impact sur l’environnement, alors qu’aux Etats-Unis, ce chiffre atteint 24%. 

Cherchez l’erreur

Et pourtant, tant Airbus que Boeing anticipent une croissance du trafic qui se poursuivra jusqu’en 2035. Il y a de quoi s’interroger sur la cohérence des constructeurs aéronautiques qui déplorent leurs difficultés à honorer les commandes des compagnies aériennes. Des compagnies qui s’ouvrent tous azimuts et font faillite, alors que le trafic aérien a déjà dépassé le seuil de saturation.   

Gérard Blanc / Je pars

Sources : Arte/Le Monde/Les Echos/Nouvelobs/Air Journal

Photo GB: Manifestation pour le climat à Lausanne, février 2019.

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