Davos, on prend, on jette


Il est bien loin le temps où Klaus Schwab passait la pommade aux journalistes économiques, les appelant un à un pour les convaincre de participer au Forum économique mondial. Cet ingénieur allemand exportait dans les montagnes grisonnes la recette événementielle de l’institut genevois où il avait commencé sa carrière. Avec, dans ses bagages, la liste d’une nébuleuse élitiste et mondialiste, noyautée par des magnats du pétrole. 

Au fil des décennies, le forum s’est institutionnalisé, le rapport de forces s’est inversé, les médias sont devenus désormais demandeurs. Après les avoir utilisés, les organisateurs leur dictent leurs conditions. En 2002, des badges de couleur furent introduits, rappelant des discriminations de sinistre mémoire. Les chaînes de télévision et les journaux à très grand tirage, disposèrent du sésame absolu, une carte magnétique blanche donnant accès aux conciliabules dans les bars VIP de Davos. Les « petits » journaux durent se contenter des conférences de presse où la langue de bois est la règle.

A Davos, on cible le pouvoir, rien que le pouvoir. Au panier, les « ex »! Spécialiste en ressources humaines, Paolo Gallo est l’auteur du livre « La Boussole du succès », paru en 2019. Il consacre un chapitre au Forum économique mondial, où il a travaillé quelques années. « Chaque invité est à la tête d’une entité: une entreprise puissante, une université, un pays, une monarchie. Ce que les gens ignorent, c’est que si une personne ne dirige plus rien, elle n’est plus invitée à Davos – à quelques exceptions près », observe Gallo.

On prend, on jette. Le journal Wochenzeitung, Woz pour les intimes, ne mangera pas non plus à la table des courtisans. Fondé en 1981 à Zurich, cet hebdomadaire de gauche autogéré publie la version germanophone du « Monde diplomatique ». Autant dire que ce n’est pas le plus boiteux des canards. Et pourtant, ce journal n’a pas reçu de laissez-passer pour le prochain forum qui se tiendra en janvier 2020 à Davos. Le syndicat des journalistes impressum y voit une atteinte à la liberté de la presse et proteste. Il a raison, la non accréditation de Woz est absolument scandaleuse, s’agissant d’un événement dont la sécurité est assurée par les pouvoirs publics à hauteur de millions de francs.

L’animateur du rassemblement davosien n’en est pas à son coup d’essai. En 2012 déjà, M. Schwab avait puni Woz de la même manière, avant de revenir à de meilleures intentions l’année suivante. Fort heureusement, Woz ne s’est pas « assagi », depuis. En janvier dernier, le journal a dénoncé le caractère peu démocratique du forum. M. Schwab n’a manifestement pas aimé. Son état-major a fait savoir à l’hebdomadaire que le forum entendait privilégier les médias avec lesquels ils entretient une collaboration tout au long de l’année.

Sonnez, trompettes! Davos 2020 ne faillira pas à la tradition: une longue litanie d’éloges attribués au système de gouvernance inégalitaire qui l’entretient. 

Christian Campiche

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