“Pour Sama” – Lettre ouverte à ma mère ou la réponse de Sama


Chère maman, 

Nous sommes en 2035 et j’ai 19 ans maintenant – l’âge que tu avais quand tu prenais tes premières orientations politiques –  et je te remercie pour tout l’amour que tu me portes. Dans ton film, Pour Sama (2019), je suis la protagoniste, un bébé pris en otage entre les horreurs de cette guerre. J’ai pleuré à chaque fois que j’ai vu ton film, avec les atrocités que tu montres, tu as choisi de toucher les émotions de toute personne normale. Mais pourquoi tu faisais croire que c’était l’armée syrienne qui occupait Alep  et qui tirait sur son propre peuple ?

 A un moment donné dans le film, tu me demandes, si un jour, je vais te reprocher de ne pas avoir quitté Alep au début de cette guerre ou si je te reprocherai de l’avoir quitté après sa libération?  Je peux te répondre maintenant: Je te reproche les deux !

Je comprends ton amour pour mon papa et son groupe et votre aveuglement de jeunesse quant à vos revendications juvéniles “pour une Syrie libre” – même si cette Syrie vous avait offert une excellente formation ainsi qu’un système de santé bien meilleur que dans le(s) pays où tu m’as amenée après notre exil. C’est normal que des gens formés soient critiques et aient des revendications. (C’est pour cela d’ailleurs que les vrais dictateurs n’ont jamais intérêt à former leur peuple et ne tiendraient pas deux mois contre le monde entier, s’ils n’avaient pas l’appui de leur propre peuple.) Je sais aussi que c’est difficile d’admettre que vous vous étiez trompés,  que vous aviez été utilisés, vu l’ampleur de l’agression qu’a subie notre pays par la suite.  Mais je fais diversion, je vais répondre  à ta question. 

Je te reproche donc de ne pas avoir quitté Alep–Est,  le fief des gangs terroristes, mercenaires de l’OTAN, qui ont assiégé notre ville entre 2012-2016 en la détruisant et en bombardant des dizaines d’hôpitaux alors que l’armée syrienne et l’armée russe avaient proposé à plusieurs reprises à tous les civils des corridors de départs protégés. Ce sont les mêmes terroristes qui au tout début des quelques manifestations paisibles, manifestations comme il y en a dans tous les pays démocratiques du monde, ont tiré avec des snipers sur des civils et des policiers dans le but de provoquer une indignation internationale en accusant mon gouvernement d’avoir tiré sur son propre peuple!

Je te reproche aussi ton départ à l’étranger quand notre gouvernement avec notre armée a libéré notre ville, au moment où des centaines de milliers de Syriens ont chanté dans la rue et sont revenus depuis  l’étranger. Qu’est-ce qu’on t’avait promis là-bas pour trahir ton pays? 

Je te reproche de m’avoir utilisée pour faire de la propagande contre mon pays, d’avoir contribué à prolonger cette guerre en propageant ces mensonges sur les attaques sous de faux drapeaux pour justifier des “sanctions” contre mon peuple – un peuple qui n’a jamais attaqué personne –  avec des mesures qui touchent chaque enfant, chaque individu, chaque jour, et je te propose maintenant de me rejoindre, ainsi que l’immense majorité de mon peuple, qui est fière de son armée et de son gouvernement et qui a perdu des dizaines de milliers de jeunes  pour nous libérer de cette attaque impérialiste-sioniste. 

Maman, je suis toujours ta fille, Sama, ce qui veut dire “le ciel”, qui aime la liberté, qui souhaite la souveraineté pour ma Syrie bien aimée et je te remercie d’avoir entre-temps fait un autre film avec tes 500 heures de “rush”. Cette-fois-ci, en laissant ton  peuple et non pas tes financiers y mettre les commentaires. Ton matériel est précieux et pour ceci, je te suis reconnaissante. 

Je te suis aussi reconnaissante de m’avoir donné la liberté de retourner dans mon pays pour le découvrir par mes propres yeux et de m’avoir permis de m’exprimer.

Alep, janvier 2035,

Ta fille, Sama.   

Andrea Duffour, l’auteure de ce texte, est  professeure de cinéma. En tant que présidente de l’Association Suisse-Cuba, section Fribourg, elle a été invitée à Damas au 3ème Forum international de solidarité avec le peuple syrien contre les interventions impérialistes en septembre 2019.

Photo DR

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