Courbet et Hodler, même combat!


Une exposition basée sur la rencontre artistique de Courbet et Hodler se tient jusqu’au 2 janvier 2020 au Musée Gustave Courbet à Ornans, en collaboration avec les Archives Jura Brüschweiler. Elle ne sera malheureusement pas présentée ultérieurement en Suisse.

En revanche, un ouvrage remarquable a été publié à cette occasion. C’est beaucoup plus qu’un «beau livre» à offrir – ou à s’offrir à soi-même – pour les Fêtes, quand bien même les reproductions de tableaux y sont d’une qualité exceptionnelle. Une série de textes rédigés par plusieurs auteurs, clairs et accessibles au profane, éclairent les rapports directs ou indirects entre les deux artistes.

Même si l’existence d’une rencontre directe, physique ne peut être prouvée, la comparaison entre eux est loin d’être «parachutée». On constate d’abord que les débuts de Ferdinand Hodler à Genève, où il était arrivé depuis peu, furent fortement influencés par l’œuvre de Gustave Courbet, alors exilé en Suisse, où les travaux du célèbre réfugié de la Commune de Paris ne passaient pas inaperçus.

Relevons, sans prétendre à l’exhaustivité, une série de points de convergence. On notera d’abord l’importance des autoportraits, qui jalonnent chacune de leurs œuvres respectives. Mais aussi celle des portraits, notamment familiaux. Courbet a peint avec délicatesse sa sœur Zélie, déjà souffrante, qui allait mourir jeune. Il y a davantage de froideur analytique chez Hodler, dans sa fameuse série consacrée à l’agonie de sa maîtresse Valentine Godé-Darel. Les deux artistes ont représenté aussi des êtres furieux, des «fous», des personnages hors de la norme sociale.

L’un et l’autre se sont attachés à montrer la puissance du peuple, des travailleurs. Qu’il s’agisse du Bûcheron ou du Faucheur chez Hodler, des paysans francs-comtois ou du Chemineau chez le proudhonien Courbet.

Puissance de l’homme, mais surtout de la nature. L’un et l’autre ont sublimé la montagne, le roc, dans les Alpes ou le Jura. L’eau est représentée tantôt comme une grande surface plane (dans les fameux tableaux lémaniques de Hodler), tantôt bouillonnante. On constate une étonnante similitude entre leurs vues de rivières et ruisseaux, où les eaux se bousculent sur leur tapis de pierres. La nature est volontiers représentée en hiver. La neige en exalte alors la pureté, mais aussi le caractère hostile. Tant Courbet que Hodler procédèrent volontiers par séries, reprenant inlassablement un même thème, notamment dans leurs paysages.

Les reproductions du livre accordent la place qu’ils méritent aux arbres et aux plantes, ainsi qu’à l’univers floral, présent chez les deux artistes. Comme l’est aussi le monde des animaux: bétail chez Hodler, gibier chez Courbet, à l’image du Chevreuil chassé aux écoutes.

Si l’un et l’autre représentent la femme et traduisent la sensualité, le désir – fût-ce parfois de manière allégorique dans La Source de Courbet – chez ce dernier on sent encore l’influence du classicisme, le goût des carnations propre au Titien. Hodler est plus moderne, ses chairs féminines exhibées et verdâtres (qui avaient tout pour choquer le bourgeois!) annoncent l’expressionnisme d’un Schiele.

Mais plus important encore que cette comparaison point par point entre les thèmes et la manière de leurs tableaux, c’est leur farouche esprit d’indépendance qui les rapproche. Les deux créateurs furent des hommes libres, rejetant les conventions, les règles académiques, comme en témoignent le célèbre Enterrement à Ornans de Courbet (sans parler de l’Origine du monde) et La Nuit aux corps contorsionnés de Hodler.

Relevons enfin un trait commun plus prosaïque: la capacité des deux artistes à mettre en valeur leur travail, à faire leur propre promotion, en un mot cru à se vendre. Ils étaient aussi des hommes d’affaires avisés! En cela, ils étaient en avance sur leur temps et annonçaient une tendance qui s’est développée dans l’art contemporain.

L’ouvrage lié à l’exposition d’Ornans offre donc, à côté de très belles reproductions des toiles, de documents photographiques et autres, une série d’éléments d’analyse qui ont le mérite de ne jamais céder au jargon.

Il s’achève sur l’autobiographie rédigée par chacun des deux hommes. On y relèvera cette définition du réalisme par Courbet (qui parle de lui à la troisième personne): «Dans son idée à lui, c’était une conclusion humaine réveillant les forces propres de l’homme envers et contre le paganisme, l’art grec et romain, la Renaissance, le catholicisme, les dieux et les demi-dieux, c’est-à-dire l’idéal conventionnel.» Et ces mots de Hodler évoquant ses années de misère: «Malgré tout cela, je me sentais le plus heureux du monde, j’étais libre de mes allures et sous la domination de personne.»

Pierre Jeanneret

Domaine Public

«Courbet/Hodler. Une rencontre», sous la dir. de Diana Blome et Niklaus Manuel Güdel, Genève, Ed. Notari, 2019, 252 pages.

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