Chronique d’Alès – Retraites, le jeu du Mikado


Pour un  observateur suisse qui vit en France, le débat hexagonal sur le système de retraite ressemble au jeu du Mikado. Toutes les baguettes sont tellement enchevêtrées que, dès qu’on en touche une en essayant de la retirer, on passe son tour. 

Pourtant, le bon Dr Philippe avait la main légère en présentant sa potion amère sur la réforme des retraites. Avec une pédagogie digne d’éloge, le premier ministre a présenté les mesures d’économie pour équilibrer le système, qui accusera un déficit d’une bonne dizaine de millards d’euros, et pour marcher pas à pas vers un nouveau régime, où chaque heure travaillée rapportera un point de retraite. Le hic, c’est que le jeu du Mikado est si complexe que, pour ne pas braquer les syndicats et le patronat, pour basculer vers un régime universel, pour faire accepter l’âge pivot à 64 ans, pour supprimer les 42 régimes spéciaux, pour apaiser les profs, les infirmières et les grévistes qui paralysent la France, le gouvernement a monté une usine à gaz.

J’exagère ? Vous avez compris, vous, à quel âge vous toucherez votre retraite et de combien, si vous êtes un cheminot né en 1975 (régime spécial) ou un employé de banque né en 1984 (régime général) ? Vous pigez ce que veut dire « des points supplémentaires devraient être accordés pour chaque enfant, une majoration accordée à la mère sauf choix contraire des parents » ? Et la « clause du grand-père », réclamée par les cheminots, c’est clair comme de l’eau de roche, pour vous ?

Et je ne vous parle même pas de l’énigme de l’âge de retraite, maintenu à 62 ans, et de l’âge pivot à 64 ans. C’est proprement machiavélique : vous pouvez prendre votre retraite à taux plein à 62 ans, si vous avez validé tous vos trimestres – entre 161 et 172, selon votre année de naissance. Et encore, il faut avoir gagné au moins 150 fois le SMIC horaire, soit 1504,50€. Sinon, eh bien, vous aurez une décote jusqu’à l’âge de 64 ans. Le naïf étranger que je suis se dit : ce serait plus simple de fixer l’âge de le retraite à 64 ans, non ? Comme dans tous les pays européens ?  Retro Satanas ! 62 ans, c’est sacré, comme les 35 heures ! Pas touche ! Sinon, les bataillons de la CGT et les brigades de la CFDT vont marcher sur l’Elysée. 

Bon, la politique, c’est l’art du possible. Alors, pour faire passer la potion amère, le gouvernement retarde les échéances. Il prévoyait que le système entre en vigueur en 2025 pour les personnes nées en 1963. On se calme : ce sera en 2037 pour les actifs nés à partir de 1973. A vos calculettes !  Les régimes spéciaux des cheminots, des gaziers, des clercs de notaires ou des  machinistes de l’Opéra de Paris, à la poubelle ! Eh, pas si vite : pas avant 2037. Et pour apaiser la colère des profs, on leur accorde une augmentation de salaire. Et pour les petits salaires, la retraite minimum à 1000€. Le Suisse que je suis, habitué à compter les deniers publics, pose la question qui fâche : et tout ça, ça va coûter combien ? Impertinent ! Le gouvernement n’en sait rien, on ne va pas chipoter pour quelques dizaines de milliards, déjà qu’on a en a claqué dix-sept pour calmer les gilets jaunes ! 

Mais, à force de ménager la chèvre et le chou, ni M. Seguin (le propriétaire de la chèvre) ni le Prince de Bretagne (le meilleur chou français, comme chacun le sait) ne sont contents. Et je vous épargne les coups de gueule des leaders de la CGT (« c’est se moquer du monde »), de la CFDT (« la ligne rouge est franchie »), du syndicat Unité SGP-Police (« le compte d’y est absolument pas »), des Républicains (« brouillard et enfumage »), du Rassemblement national (« des perdants à tous les étages »). Heureusement qu’il y a le Medef pour saluer « un bon équilibre »

Le brave Dr Philippe a beau répéter : « Ma porte est ouverte, ma main est tendue », la grogne ne faiblit pas et les manifs vont se multiplier. Et la galère des usagers du train et du métro, des hôpitaux et des écoles va se poursuivre. Sans parler des commerçants qui voient leur chiffre d’affaires s’effondrer en période des fêtes. 

Au jeu du Mikado, le gouvernement a perdu la main. Ce sont les syndicats qui mènent le jeu. Et ils sont bien décidés à pousser les feux pour faire plier le gouvernement. Ce qu’ils veulent ? Surtout qu’on ne touche pas à leur précieux régimes spéciaux, ni à la retraite à 62 ans. Et pour les plus radicaux : le Smic à 1500€, le retraite à 60 ans, la baisse des taxes sur les carburants et le remboursement des jours de grève. Qui va payer ? M’en fous, pas mon problème ! Comme le proclamait le regretté Coluche : «Camarades ! Le capitalisme, c’est l’exploitation de l’homme par l’homme. Le syndicalisme, c’est le contraire».

Marc Schindler

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