Le 16 décembre 2019, le Conseil des États a approuvé un projet de loi visant à réglementer le processus de “whistleblowing“, le terme anglais pour dire lancer l’alerte. Et ce, malgré toutes les voix qui ont indiqué les lacunes de la loi pour la protection des employés, des éventuels lanceurs d’alerte, ainsi que la protection de la population. Le projet de loi devrait de nouveau être discuté au Conseil National dans un avenir proche.
Le problème n’est pas tant la proposition de la communication interne des irrégularités que le fait qu’en termes de protection des employés, en général, le droit suisse du travail est très faible et ne considère pas le facteur humain dans la gestion de la sécurité des produits et des services. Il permet le harcèlement et le mobbing sans sanctionner les auteurs ni indemniser les victimes pour leurs pertes. C’est dans un tel cadre réglementaire que la proposition de loi est erronée et conduira à réduire au silence les lanceurs d’alerte plutôt qu’à faciliter la communication des irrégularités.
Mon cas et celui d’autres personnes le prouvent. Le droit suisse du travail est en soi une violation des droits de l’homme car son caractère permissif à l’égard du harcèlement psychologique est une violation de la dignité des victimes, l’essence même des droits de l’homme.
De plus, le droit suisse du travail sanctionne le licenciement abusif avec un maximum de 6 mois de salaire. Cependant, dans la pratique, cela a rarement été accordé. Pour les employés qui ont le courage d’intenter une action en justice, l’indemnisation est généralement de 2 à 3 mois de salaire. En revanche, les honoraires de l’avocat peuvent dépasser ou absorber une grande partie de l’indemnité. En outre, le salarié qui poursuit son employeur peut ne pas trouver d’autres emplois parce qu’il se trouve sur liste noire.
La proposition de loi ne prévoit aucune sanction en cas de non-examen de l’objet du signalement, qui est généralement l’objet de la dénonciation et l’objectif du lanceur d’alerte. Elle ne sanctionne pas non plus les représailles. Elle ne permet que la divulgation d’actes illégaux ou criminels aux autorités compétentes et non les pratiques et politiques de gestion qui peuvent être risquées pour la société et ne sont pas nécessairement réglementées. Ainsi, nous perdons l’occasion de prévenir des incidents. Egalement, le délai de deux mois pour réagir aux alertes ne s’applique pas aux alertes urgentes en matière de santé, de sécurité et d’environnement qui nécessitent des actions beaucoup plus rapides.
De plus, en Suisse, les actions en justice sont très coûteuses au point que les employés ne peuvent pas finir le processus. Souvent, ils sont obligés de consentir un accord à l’amiable, généralement imposé unilatéralement par l’employeur. Ceux qui décident de poursuivre leur action en justice sont alors soumis à un harcèlement judiciaire et à des mesures dilatoires. Au cours du processus, la Cour pousse également la victime à s’entendre sur un règlement par des sommes souvent insignifiantes qui ne sont ni une véritable compensation pour la victime ni une sanction pour l’employeur. Dans ces conditions, la pratique consistant à balayer les problèmes sous le tapis se poursuit jusqu’à ce qu’un événement indésirable survienne.
La Suisse n’offre aucune protection aux lanceurs d’alerte. Les employés peuvent être harcelés et renvoyés. S’ils parviennent à poursuivre leur action en justice, le transfert punitif, qui constitue en soi un harcèlement, est rebaptisé mesure corrective, toute faute se voit niée.
Yasmine Motarjemi, Nyon
Photo Denise Campiche: Orchidée rouge, décembre 2019.