Chronique d’Alès – La révolte des robes noires


On croyait avoir tout vu : les gilets jaunes sur les rond-points, les gilets rouges de la CGT, les Black Blocs, les tutus de l’Opéra ! Dans le folklore de la contestation à la française, voici le dernier show : les robes noires des avocats jetées au sol. Les maîtres du barreau ont aussi leur scénographie pour refuser la réforme des retraites. 

On a un peu de peine à compatir pour les défenseurs de la veuve et de l’orphelin. La sagesse populaire regorge de dictons assassins : « Les mains d’un avocat sont toujours dans la poche de quelqu’un » ; « les fous et les querelles enrichissent les avocats » ; « Au jardin de l’avocat, un procès est un arbre fruitier qui s’enracine et ne meurt pas » ; « mieux vaut une souris dans la gueule du chat qu’un client aux mains de l’avocat ». Bref, pour les Français, l’avocat, c’est l’un des plaideurs superbes qui défendent Sarkozy, Tapie ou Balkany. Ces ténors des tribunaux qui se partagent les affaires médiatiques et les dossiers financiers, dont les honoraires tutoient les nuages : Eric Dupond-Moretti, Jean Veil, Frank Berton. Bon, on ne va pas pleurer sur ces as de la plaidoirie, sur ces chevaliers de la dialectique, quand ils osent prétendre que Macron veut la mort de leur cabinet. 

Mais, il y a tous les autres, les gagne-petit du barreau, les avocats qui vivent de l’aide juridictionnelle payée par l’Etat ou commis d’office pour défendre les petits dealers ou les épouses dont le mari ne paie pas la pension alimentaire. Ils facturent leurs prestations entre 100 et 300 € de l’heure. Mais ils n’ont pas besoin de chercher des clients, c’est le bâtonnier qui les leur fournit. Il y a aussi les jeunes avocats qui viennent d’ouvrir leur cabinet en province, où les notables du barreau ne leur ouvrent pas les bras ! Ce sont eux qu’on voit manifester bruyamment devant les Palais de justice, en portant un cercueil barrés des messages : »Liberté, égalité, justice de proximité ». Ils paralysent les tribunaux et protestent que le gouvernement ne les écoute pas et que la réforme de leur régime de retraite aura «des conséquences gravissimes » pour leur profession : cabinets fermés, personnel licencié. Tout juste s’ils ne menacent pas de s’inscrire à Pôle emploi !

Bon, revenons aux choses sérieuses ! Le salaire moyen d’un avocat est de 6775 € brut par mois. Pas mal, non, quand le salaire moyen d’un employé ne dépasse pas 2108 € brut par mois. Mais 10% des avocats gagnent moins de 3500 € brut par mois. Et les charges et les cotisations mangent la moitié de leur chiffre d’affaires. La vraie raison de la colère des robes noires, c’est leur régime de retraite. Rien à voir avec celui des cheminots, des marins ou des danseurs de l’Opéra de Paris. Pour bien comprendre, je vais vous infliger un déluge de chiffres. Selon Le Monde : « Le régime géré par la Caisse nationale des barreaux français (CNBF) est original, avec une forte redistribution au bénéfice des avocats qui peinent à vivre de leur travail. Au régime de base, la pension est la même pour tout le monde, 17.000 euros par an, à la seule condition d’avoir effectué une carrière complète sous la robe. Elle est financée par une cotisation minime, de 3,1 % du revenu, mais courant jusqu’à 292.000 euros par an (contre 40.000 euros dans le régime général). S’y ajoute un forfait lié à l’ancienneté dans le métier : 284 euros la première année, 1.555 euros à partir de la sixième année. ». Ça va, vous êtes toujours avec moi ? Quand on parle gros sous, faut être sérieux !

Mais vous pensez bien qu’aucun avocat ne peut vivre avec une retraite de 1700 €. Il cotise aussi à une caisse professionnelle financée par une cotisation de 14%. C’est un magot de 2 milliards avec un retraité pour quatre cotisants. Le gouvernement veut faire rentrer les avocats dans le régime universel en mettant la main sur leur caisse de pension et en doublant leur taux de cotisation. La ministre de la Justice a beau faire quelques concessions, les durs de la robe noire continuent à bloquer la justice. Ils espèrent faire céder le gouvernement : puisque les pompiers, les marins et les danseurs de l’Opéra de Paris ont obtenu des aménagements à leur régime de retraite, « continuons le combat » !

Attention Maître, il faut peut-être relire ce qu’écrivait Honoré de Balzac : « La gloire d’un bon avocat consiste à gagner de mauvais procès »

Marc Schindler

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