5G, la Suisse entre enthousiasme stratégique, craintes diffuses et problèmes réels


La Suisse, une fois n’est pas coutume, a pris la tête du peloton. En février 2019, la Commission fédérale de la communication (Ofcom) attribue une licence 5G – la cinquième génération de la téléphonie mobile – aux trois principaux opérateurs helvétiques, Swisscom, Sunrise et Salt. A cette occasion, la Confédération encaisse 380 millions de francs auprès de ces trois opérateurs, qui annoncent une couverture de 90% du territoire pour la fin de l’année 2020.

La 5G nous promet un avenir numérique radieux qui démultipliera la vitesse d’accès à l’Internet et le volume des données transmises. Grâce à ce nouveau standard, nous entrerons dans l’ère de l’hyperconnectivité qui permettra aussi bien l’essor de la voiture autonome, des objets connectés – mon frigo m’indique l’état des stocks alimentaires – de la ville intelligente et de l’industrie automatisée. Un marché d’avenir qui ne peut que séduire les investisseurs.

Un an plus tard, il faut déchanter. Les oppositions se multiplient, qui craignent pour la santé publique. Des cantons – Vaud Genève, Jura – évoquent un moratoire qu’ils n’ont pas la compétence de décréter, comme le leur rappellent l’Office fédéral de l’environnement et l’Ofcom. Les experts mandatés par la Confédération pour étudier le développement de la 5G et ses effets rendent leur rapport en novembre 2019, soit huit mois après l’attribution des licences, sans parvenir à un accord sur les conclusions.

Mais c’est la réglementation qui constitue le frein principal au développement de la 5G. En effet, les normes en vigueur ne permettent pas le déploiement des pleines capacités du nouveau standard. C’est pourquoi les opérateurs demandent avec insistance une augmentation des valeurs-limites de rayonnement. Dans cette attente, ils sont condamnés à adapter le logiciel de leurs antennes, ce qui ne nécessite pas de nouvelles autorisations. Résultat: une pseudo-5G qui ne représente qu’une modeste amélioration de la 4G et non la révolution promise. Donc, lorsque Swisscom annonce une 5G couvrant 90% du territoire, il s’agit d’une tromperie sur la marchandise.

Or la Confédération temporise. Les directives attendues par les cantons sur la mesure des valeurs d’émission ne sont toujours pas élaborées. Pire, l’Office pour la protection de l’environnement a fait savoir aux cantons que la publication de ces directives était à nouveau reportée, cette fois «pour une durée indéterminée».

Même Le Monde se fait l’écho des hésitations suisses. Que se passe-t-il? Après la précipitation qui a présidé à l’ouverture d’un marché considéré comme un enjeu stratégique, Berne a-t-elle soudain pris conscience des multiples problèmes posés par la 5G? Car problèmes il y a, et cette pause devrait être l’occasion d’ouvrir un débat que l’enthousiasme initial a largement ignoré.

Un problème de société tout d’abord. Les études sont maintenant suffisamment nombreuses et accablantes sur l’impact négatif de l’omniprésence des écrans, notamment sur les jeunes, pour craindre l’émergence d’une génération de «crétins digitaux».

Un problème énergétique et environnemental ensuite: la 5G va multiplier l’usage de la téléphonie mobile et le cycle continu de renouvellement des appareils et standards représente une prime à l’obsolescence des produits, en contradiction avec les exigences d’une économie durable.

La cybersécurité enfin: l’interconnexion généralisée implique une décentralisation de l’infrastructure et donc une multiplication des points d’entrée, qui représentent autant d’occasions de pirater les données et de perturber les réseaux. Par ailleurs les trois opérateurs helvétiques se fournissent en matériel de réseau auprès du géant Huawei, dont on sait la dépendance à l’égard du régime chinois. Pour l’heure, la Suisse laisse reposer le souci sécuritaire sur les épaules des opérateurs.

Suffisamment de questions qui justifient d’examiner avec attention les effets potentiels de cette «révolution» de la communication. Et suffisamment de pannes à répétition sur le réseau de Swisscom pour inciter ce dernier à revoir ses priorités.

Jean-Daniel Delley

Domaine Public

Tags: , , ,

Mentions légales - Autorenrechte

Les droits d'utilisation des textes sur www.lameduse.ch restent propriété des auteurs, à moins qu'il n'en soit fait mention autrement. Les textes ne peuvent pas être copiés ou utilisés à des fins commerciales sans l'assentiment des auteurs.

Die Autorenrechte an den Texten auf www.lameduse.ch liegen bei den Autoren, falls dies nicht anders vermerkt ist. Die Texte dûrfen ohne die ausdrûckliche Zustimmung der Autoren nicht kopiert oder fûr kommerzielle Zwecke gebraucht werden.