Ce que la pandémie nous apprend sur la manière de gérer la menace climatique


Décidément le dossier climatique peine à se frayer une place à l’ordre du jour politique. Il a d’abord connu un peu glorieux naufrage en 2018 lors de la session d’hiver du Conseil national: l’union contre nature des partisans du projet de loi CO2 et de l’UDC, aussi enragée par le réchauffement climatique qu’un taureau devant la muleta, a rejeté un texte par trop édulcoré.

La conversion écologique des libéraux-radicaux, les nombreuses manifestations, des jeunes en particulier, le nouvel objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 décidé par le Conseil fédéral en août dernier et la vague verte aux élections d’octobre ont donné un nouvel élan à ce dossier. Le projet, quelque peu musclé par le Conseil des Etats en automne dernier, se voit pourtant à nouveau mis au repos après la décision du Conseil national d’abréger la présente session de printemps pour cause de pandémie.

L’extension du coronavirus exige certes un engagement rapide et total. Mais il s’agit de ne pas occulter le défi climatique qui lui également exige que nous agissions sans tarder. Cette pause pourrait être l’occasion d’une réflexion sur la politique climatique à la lumière de l’actuelle pandémie.

Et d’abord tordons le cou à un lieu commun: la responsabilité de la Suisse dans le réchauffement climatique serait à ce point marginale – un pour mille des émissions et 72e place mondiale – que son action, même résolue, ne contribuerait en rien à la solution du problème. Ce raisonnement, on peut l’entendre également à propos de la responsabilité des individus: que pèse mon comportement à l’échelle de la planète? Or c’est l’addition des actions publiques comme individuelles qui fait bouger les choses.

Si la Suisse, pays riche en ressources financières, en compétences technologiques et administratives, n’est pas capable de respecter ses engagements internationaux, quel Etat le fera? Il y va de notre crédibilité, mais également de notre intérêt. En effet la resquille – profiter des efforts des autres sans y contribuer – est de moins en moins tolérée. Ainsi l’Union européenne envisage d’introduire une taxe carbone à ses frontières qui frapperait les biens des pays négligeant la lutte contre le changement climatique.

On peut déjà observer l’impact du covid-19 sur le niveau des émissions de gaz à effet de serre. La réduction drastique du trafic aérien y contribue. Comment éviter que reprenne la croissance continue qu’a connue ce mode de transport?

Des économistes romands soulignent les faiblesses de la taxe sur les billets d’avion telle que prévue par le projet de loi CO2: entre 30 et 120 francs, des montants trop bas pour dissuader durablement les voyageurs ailés, responsables de près de 20% des émissions du pays. Les députés oseront-ils aller plus loin? On peut envisager d’autres mesures, telle qu’une limitation de la vitesse des avions, par exemple à 600 km/h, ce qui permettrait une réduction de 30% de la consommation de carburant.

Les compagnies aériennes, sévèrement affectées par la pandémie, réclament l’aide des pouvoirs publics. L’occasion pour ces derniers d’imposer des contreparties.

Nous avons déjà noté l’incohérence des compensations d’émissions à l’étranger (DP 2272). En fixant à un tiers la part des réductions d’émissions réalisables à l’étranger d’ici 2030, le projet de loi n’impose qu’une baisse annuelle modeste des émissions internes. Et ce sera à nos enfants de réduire fortement ces émissions entre 2030 et 2050 pour atteindre l’objectif de neutralité carbone puisque, chaque Etat devant prendre sa part, il ne sera plus possible de s’offrir des compensations extérieures: un héritage empoisonné que le Parlement peut encore assainir.

Dans le cadre de la lutte contre la pandémie, la Confédération a progressivement pris le commandement des opérations. Face à une telle situation, il paraît évident que la belle diversité des actions que permet le fédéralisme n’a pas lieu d’être.

La lutte contre le dérèglement climatique, parce qu’elle exige une action rapide et généralisée, ne peut tolérer des conflits de compétence. Ainsi les cantons ont vivement résisté aux dispositions du projet de loi CO2 touchant les bâtiments, un domaine relevant de leur compétence. Or les bâtiments obéissent à un cycle d’investissement long. Les prescriptions efficaces en matière de chauffage et d’isolation doivent s’appliquer sans tarder sans quoi il faudra attendre plusieurs décennies pour produire les effets voulus, trop tard pour atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050.

La crise sanitaire provoquée par le covid-19 a mis en évidence notre dépendance à l’égard de l’étranger pour des produits essentiels à la santé publique. Par analogie, on ne peut que porter un regard critique sur notre politique agricole. 56% de la viande et 20% du lait suisses dépendent des importations de céréales et de fourrage. Comme le relève l’Office fédéral de l’environnement, un cheptel adapté au volume d’herbage indigène permettrait tout à la fois de réduire les émissions d’ammoniac et de méthane – un gaz à effet de serre beaucoup plus puissant que le CO2 – et de préserver les aires forestières du tiers-monde, sacrifiées à la culture intensive d’aliments pour le bétail.

On entend souvent dire que la pandémie actuelle signifie une rupture par rapport à nombre de nos certitudes et de nos comportements. Une analyse fine des dysfonctionnements observés ne pourrait que profiter à l’amélioration de la politique climatique. Car si la pandémie disparaîtra peut-être dans quelques mois, les conséquences d’un réchauffement non maîtrisé de la planète accompagneront l’humanité durant plusieurs décennies, si ce n’est plusieurs siècles.

Jean-Daniel Delley

Domaine Public

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