Journaliste et virus, sacré défi


PAR MARC SCHINDLER

Nous les journalistes,nous avons une sacrée responsabilité dans cette crise mondiale du Covid-9. Nous devons informer, c’est-à-dire rechercher, résumer et transmettre ce que nous savons sur l’épidémie. Le respecté New York Times avait cette devise : « All the news that fit to print » – toutes les nouvelles dignes d’être imprimées. Facile à dire, moins à faire. Dans le déluge de nouvelles qui tombent sur l’écran de mon ordinateur, que faut-il choisir ? L’information officielle, dispensée par les ministres et leurs porte-parole ? L’information que j’ai trouvée par mes recherches ? Ou l’information personnelle et les fausses nouvelles que nous envoient des sites officieux et nos amis sur Facebook ? Choisir la vérité qui fait peur ou celle qui rassure ?

Vous croyez peut-être que la vérité est facile à trouver, qu’elle est simple, c’est blanc ou noir. Vous avez tout faux. En quarante ans de journalisme, comme tous mes confrères, j’ai dû choisir tous les jours ce qui m’apparaissait important et ce qui était secondaire. Et je me suis trompé souvent. L’objectivité, c’est bon pour un microscope de laboratoire. Pas pour un journaliste face à un porte-parole qui veut faire passer son message, face à un témoin qui refuse de parler ou face à un document introuvable. Devant son ordinateur qui balance des news en rafale, le journaliste doit décider et vite ce qu’il va dire et montrer.

Entre la litanie macabre des morts et la guérison miraculeuse d’une Italienne de 95 ans ; entre le témoignage bouleversant d’une infirmière qui voit mourir ses malades et l’espoir d’un médicament contesté ; entre l’appel désespéré des médecins pour durcir le confinement et le jeune jogger qui prend une amende pour n’avoir pas respecté les consignes, vous auriez choisi quoi ? Quelle nouvelle pour ouvrir le journal télévisé ou la une du quotidien ? Du sensationnel, du vécu, du rassurant ? Tous les journalistes sont confrontés tous les jours à ces choix. Et pas le temps de réfléchir trop longtemps ni de consulter ses confrères. L’actu n’attend pas. T’es pas payé pour tes états d’âme, coco !

Chaque media fait ses choix en fonction de sa ligne éditoriale, de son public et de ses annonceurs. Au Monde et au Figaro, on ne traite pas l’information de la même manière. Midi Libre, mon quotidien local, fait sa une sur le Covid-19 à Montpellier et à Nîmes. La Tribune de Genève s’intéresse à ce qui se passe en Suisse. Lequel est le plus objectif ? Lequel donne l’information la plus complète et honnête ? A vous de juger.

Je vous entends déjà : évidement, ce vieux journaliste défend sa corporation. Je sais que les journalistes sont parmi les professions les moins respectées. Tous pourris, tous vendus ! Je sais qu’il y a de mauvais journalistes, comme il y a de médiocres bouchers ou des maçons incompétents. Je sais que certains confrères ont des pratiques de voyous, malgré leur charte déontologique. Je connais la tentation de dire la vérité officielle, de ne pas enquêter sur les affaires sensibles, de ménager les autorités et les annonceurs. Je connais le fameux dicton : « Ne mors pas la main qui signe le chèque ».

Mais, modestement et sans brandir les beaux principes, je crois que « la liberté de la presse ne s’use que si l’on ne s’en sert pas », selon la magnifique maxime du Canard Enchaîné, un fameux empêcheur de tourner en rond. Vous pouvez aimer ou détester les journalistes, vous avez le droit de dénoncer leurs erreurs et leurs compromissions. Mais, essayez d’imaginer un monde dans lequel la seule vérité est celle du gouvernement ; la seule opinion, celle de la majorité ; la seule image, celle de la propagande. Comme en Chine, en Corée du Nord, où les journalistes sont des fonctionnaires au service du pouvoir. Je crois que nous les journalistes, nous ne sommes pas des serviteurs du gouvernement, même si certains comportements me font douter parfois.

J’aime bien cette citation de Jacques Savoie, un écrivain québécois : « Un journaliste, ce n’est rien de plus qu’un facteur… l’humilité en moins. Tous deux sont là pour transporter les nouvelles, mais l’un se les approprie, alors que l’autre les laisse discrètement dans la boîte aux lettres ».

Dessin: Stephff

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