Lettre de Lima – «Mourir du coronavirus ou de faim, voilà le choix qui s’offre à nous!»


PAR PIERRE ROTTET

Il est 20 heures et des poussières. Le peu de vie que la journée entretenait péniblement s’est désormais arrêté en cette nouvelle soirée de couvre feu à Lima. Des lumières alentours dans les chaumières, quelques balcons vidés de leurs habituels occupants… plus rien ici ne vit.

Contraste avec le parc boisé et verdoyant, ses fleurs parsemées à souhait. Cet espace qui s’ouvre devant mon balcon donne à la nature de quoi se moquer du confinement, en faisant se mouvoir les branches des arbres. Les oiseaux d’habitude si turbulents, si piaillants la journée, ont emboîté le pas aux habitants du quartier. La brise maritime, elle, apaise l’air encore empli des chaleurs de la journée, dans cet été qui joue les prolongations au Pérou. 

Le silence! Troublé parfois par des hélicoptères des forces armées qui survolent l’endroit, quand ce ne sont pas les camions militaires chargés d’hommes en armes qui roulent à tombeau ouvert sur l’asphalte de l’Avenue qui se devine derrière les arbres et les maisons alentour. Des aspects de guerre… D’une guerre d’un autre genre. Peut-être pour que quelque chose change dans ce monde encore habité. Le silence! 

Le silence parfois brisé par les voitures de police, toutes sirènes hurlantes. Ou par l’une ou l’autre ambulance dont on se demande bien pourquoi elle se signale avec ses alarmes. En l’absence de toute voiture. Cette concurrence tellement encombrante en des jours normaux « bouchonnés »…

Peut-être pour rappeler, ressasser aux gens la tragédie que vit le monde. Qu’ils subissent! Comme si ces mêmes personnes en avaient réellement besoin, elles qui se lèvent et se couchent avec le virus.

De ma terrasse illuminée, la seule qui fait encore fête à la vie dans un vaste périmètre, j’observe cette non-vie, pourtant si vivante en de meilleurs temps, si bruyante des gaietés naturelles des habitants, des rires et des jeux des enfants. Une non-vie, à laquelle je m’empresse de dire non, en accompagnant d’un bon verre la musique du CD qui sort de mon salon. Histoire de dire santé à la nuit. A la vie!

Un drôle de mot pour ces personnes des bidonvilles, déjà pas épargnées par la vie, les difficultés qu’elles semblent avoir accumulées. Et combien davantage, avec ce qui leur tombe dessus, un confinement et un couvre-feu pour un virus que les gouvernements et les scientifiques n’ont pas vu venir. Un jour, il faudra bien rendre des comptes. 

Le gouvernement péruvien n’est pas en reste, engoncé dans des effets de discours, à coup de déclarations aussi loin des réalités du terrain qu’un banquier l’est d’un SDF. Il ferait bien de se mettre, une fois n’étant pas coutume, à l’écoute de ces centaines et centaines de milliers de citoyens qui vivent l’existence sans vraiment jamais l’avoir vécue. Qui regardent défiler le temps. Parce que rien ne ressemble plus pour eux qu’un jour sans pain à un autre jour sans pain.

J’ai tendu l’oreille, hier, au témoignage de cette femme, digne dans sa misère et dans son taudis. Un taudis comme des milliers d’autres. Des taudis, dirais-je, de la République, mais en terre de personne, jamais foulée par un président ni aucun congressiste, de bric et de broc, au mieux, qu’habitent des milliers de citoyens, en compagnie des rats et des chiens. Poignant, son témoignage: « Mourir du coronavirus ou de la faim, voilà le choix qui s’offre à nous ».

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