Chronique d’Alès – La victoire de l’écureuil


PAR MARC SCHINDLER

Quand j’étais jeune – il y a déjà un certain temps déjà ! – la sagesse populaire disait : « L’argent n’a pas d’odeur, à partir d’un million, il sent bon ». Aujourd’hui, pour un million, t’as plus rien ! La fortune des grands patrons de multinationales se mesure en milliards. La dette des pays en dizaines de millards. Bon, pour vous, je ne sais pas, mais pour moi, avec un million, je serais déjà content.

La crise provoquée par le virus va ruiner des dizaines de millions de salariés qui vont basculer dans le chômage. Elle va pousser à la faillite des millions de commerçants, d’artisans et de petites entreprises que les aides des gouvernements ne suffiront pas à sauver. Personne ne peut encore mesurer les ravages que le Covid-19 va infliger à l’économie mondiale. Les experts affirment : ce sera la pire crise depuis 1929. Je n’ai pas gardé de souvenirs, je n’étais pas encore né ! Tous les symptômes de la récession sont là : la production s’effondre, la consommation est en panne, le baril de pétrole ne vaut plus rien. Et le pire est à venir, à l’automne, quand on espère que l’épidémie aura reculé. Dans les pays riches, beaucoup de gens ne mangent plus à leur faim. Celles qui élèvent leurs gosses en travaillant au noir, les vieux qui vivotent avec une petite retraite, les jeunes qui n’ont pas de boulot. Ils seront les victimes bien plus nombreuses du virus que ceux qui en sont décédés. Tout le monde connaît ces sombres perspectives.

Mais si on s’intéresse à l’économie – et on devrait, parce qu’elle nous concerne tous – les statistiques nous révèlent autre chose. Ceux qui ont encore un revenu consomment moins, iIs achètent pour se nourrir, se soigner et se distraire. Mais ils ne vont plus au restaurant ni au cinéma, ils ne changent plus de smartphone. La nouvelle maison, la nouvelle voiture, la nouvelle TV, le frigo à changer, tout cela attendra. Les Français sont bien forcés d’épargner, puisque aucun marchand ne vend plus de voitures, des TV ou de frigos. L’Observatoire français des conjonctures économiques a calculé qu’avec le confinement, 55 milliards d’euros ont été mis de côté. En moyenne, 230 euros d’économie par semaine. C’est l’épargne de l’écureuil. Pas pour ceux qui vivent des revenus sociaux ni pour ceux qui bossent au black.

Ceux qui le peuvent ont placé leurs sous sur des livrets d’épargne ou sur des comptes courants qui ne rapportent rien, mais qui sont sans risque. Les Français sont peut-être nuls en économie, mais ils ont la mémoire longue. Selon l’économiste Pascal Perri : « Les ménages savent que les emprunts publics d’aujourd’hui alimenteront la dette de demain qui se transformera en impôts après-demain ». La promesse du gouvernement : on n’augmentera pas les impôts pour financer les 100 milliards d’aides à l’économie, cela ne les fait pas rire. Alors, ils font ce que les économistes appellent une épargne de précaution. Cette épargne qui dort s’élève à 410 milliards d’euros. La centaine de milliards, c’est l’instrument de mesure, aujourd’hui ! Le paradoxe bien connu, c’est que pour relancer l’économie, il faut investir, dépenser, acheter et pas rester assis sur son tas d’or. Mais pour le faire, il faut avoir confiance en l’avenir, espérer garder son job et croire que les banques vont prolonger ses crédits. C’est plutôt mal parti : selon un sondage, 55% de Français ne font plus confiance au gouvernement pour gérer la crise. Le ministre de l’Economie a beau s’époumoner à rappeler les milliards déversés pour sauver les emplois, 31% des sondés se disent « très inquiets ».

Alors, on peut faire deux hypothèses : la rose, c’est que dès la fin du confinement, les Français vont se ruer dans les magasins pour acheter et dépenser l’argent qu’ils avaient mis de côté, et l’économie marchera du feu de dieu. L’hypothèse noire, c’est que les Français garderont leurs sous au chaud et que l’économie s’effondrera avec des millions de chômeurs, de faillites, de pauvres à la rue et le retour des « gilets jaunes ». Vous avez peut-être une boule de cristal pour prévoir l’avenir. Moi j’aurais tendance à croire le grand économiste américain Galbraith : « La seule fonction de la prévision économique, c’est de rendre l’astrologie respectable ».

Photo le Médusé: Le jardin du Parc Olympique, Ouchy, avril 2020. Préférons croire à l’hypothèse rose!

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