Santé publique en période de coronavirus, l’héritage de Philippe Ignace Semmelweis


PAR YASMINE MOTARJEMI

En ces temps de Corona, où le lavage des mains occupe une place prépondérante dans les mesures de prévention contre le COVID-19, il est difficile de ne pas penser à Philippe Ignace Semmelweis, médecin hongrois, le pionnier du lavage des mains (1818 -1865).

J’ai appris à connaître Igance Semmelweis, lorsque je travaillais à l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), au sein du département de la sécurité sanitaire des aliments. À l’époque, malgré nos mises en garde contre l’augmentation alarmante des maladies d’origine alimentaire et l’émergence de nouveaux agents pathogènes ainsi que les risques liés aux contaminants chimiques, on ne prêtait pas une grande attention à la sécurité sanitaire des aliments.

Chaque année, les ministres de la santé se réunissaient à l’OMS pour decider des priorités, sans pour autant se préoccuper de ce sujet, à notre grande déception. Il a fallu la crise de la vache folle (Encephalopathie spongiforme bovine (BSE)) et la variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob chez l’homme, en Europe, et la mort des enfants aux USA par la bactérie Escherichia coli O157, par simple consommation des hamburgers, pour que le monde se réveille. Les traités de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1995, qui libéralisaient le commerce international, ont également suscité la crainte pour la sécurité des aliments des pays importateurs.

C’est dans la nature humaine que tant que l’humain lui même n’est pas touché il ne perçoive pas les dangers et la nécessité de renforcer les mesures préventives. Alors que pour prévenir certaines maladies transmissibles, à tout moment on aurait pu faire des campagnes d’éducation de lavage des mains, surtout dans les écoles, ce n’est que maintenant, dans la crise de COVID-19, que nous nous y appliquons. Il est étonnant de constater comment les changements de comportement sont facilement acceptés en période de crise et de risque sanitaire imminent !

Bref, c’est pendant ces années où nous luttions pour la sécurité des aliments que mon chef à l’OMS, le Dr Fritz Käferstein, nous a raconté la terrible histoire d’ Ignace Semmelweis. « Non seulement, il n’a pas été écouté mais il fut harcelé au point de perdre la raison », nous disait-il. Ignace Semmelweis avait constaté un nombre démesuré de femmes enceintes mourant de fièvre puerpérale lors de l’accouchement dans les hôpitaux et, plus tard, que ces infections avaient un lien avec les mains souillées des médecins. D’abord, il préconisa le lavage des mains à l’eau et au savon, puis il recommanda un lavage avec une solution d’hypochlorite de calcium.

Mais la contribution d’Ignace Semmelweis à la santé publique va au-delà du lavage des mains. Sa contribution est la leçon de professionnalisme qu’il nous laisse. La passion, le dévouement d’un médecin à sa profession. La persévérance et la résilience pour se battre au nom de la santé publique, pour ses convictions et pour une vérité que tous ses collègues ont refusé d’admettre malgré les preuves. L’histoire ne nous dit pas quelles sont les raisons pour lesquelles la société scientifique de l’époque lui a tourné le dos et a refusé d’examiner les preuves. Jalousie professionnelle, ego, manque de vision et d’expertise, peur d’être dépassé par un autre médecin ? Seules cinq personnes ont eu le courage de le soutenir, nous rapporte Louis-Ferdinand Céline dans sa thèse de médecine.

L’histoire de Semmelweis, rejoint celle de nombreux lanceurs d’alerte de notre époque, qui ont sacrifié leur vie au nom de l’intérêt public en apportant des informations essentielles. Mais qui, comme Ignace Semmelweis, ont été ostracisés et leurs alertes parfois exploitées à leurs dépens, parfois ignorées.

Dans le cadre de COVID-19, il faut citer les médecins, lanceurs d’alerte chinois, Ai fen et Li Wenliang, qui ont essayé d’alerter sur les risques de ce nouveau Coronavirus. Au lieu d’être écouté, Li Wenliang a d’abord été harcelé, puis a succombé à cette même maladie COVID-19 à propos de laquelle il a tenté de nous alerter. Ai fen est à ce jour toujours porté disparue. Nul besoin de décrire les conséquences de l’étouffement de l’alerte, les mesures tardives pour gérer l’épidémie et avertir la communauté internationale.

Puisse l’histoire de sa vie nous protéger des préjudices, nous inspirer l’intégrité, l’éthique scientifique et valoriser l’expérience des lanceurs d’alerte.

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