Chronique d’Alès – L’avenir dans le rétro


PAR MARC SCHINDLER

J’ai toujours admiré ceux qui savent l’avenir. Ceux qui ont des convictions en béton. Ceux qui ne doutent jamais. Ce sont des prophètes de bonheur. Et on en a bien besoin, ces temps-ci !

Si vous savez prévoir l’avenir, au temps du Covid-19 (pourquoi 19, il y en a eu 18 autres avant ?), c’est que votre boule de cristal est plus claire que celles de Macron, de Trump et de XI ! C’est que vous êtes plus fort que les Dr je sais tout qui prolifèrent sur les réseaux sociaux et qui vaticinent à longueur de débats sur les chaînes d’info en continu. Plus fort que ceux qui proclament que l’hydroxychloriquine et l’eau de Javel vont vaincre le virus. Plus fort que les augures de malheur, qui avaient prévu la fin du capitalisme et de la mondialisation et que personne n’avait écouté. Encore plus fort que les optimistes qui voient se lever l’avenir radieux d’un monde décarbonné, débarrassé de la bagnole et des centrales nucléaire. Ceux pour qui Michel Audiard affirmait : « Heureux les fêlés, car ils verront la lumière ».

Je persifle, bien sûr. Mais c’est parce qu’aucun de ces gourous auto-proclamés n’a su me convaincre que ce sera mieux après. Le vieux journaliste que je suis est peut-être devenu un peu cynique, à force d’avoir avalé de travers les promesses de ceux qui décident du sort des peuples. L’avenir radieux promis par le drapeau rouge, la mondialisation heureuse offerte par Macron, le monde connecté garanti par Jeff Bezos et Bill Gates. Je sais bien que les promesses n’engagent que ceux qui y croient. L’expérience de l’âge – vous savez, les conneries des autres ne vous apprennent rien – m’ont rendu méfiant comme un chat à qui on tend une nouvelle croquette.

Plus je vieillis, plus je m’intéresse à l’histoire. Je sais bien qu’elle ne repasse jamais les plats. Mais, quand même, tant qu’il y aura des hommes, ils auront les mêmes espoirs d’une vie meilleure après une catastrophe et les mêmes espoirs déçus. A la fin de la guerre, l’Europe allait renaître et bâtir un monde nouveau, grâce aux dollars de l’Oncle Sam. A l’Est, les prolétaires de tous les pays, unis derrière la faucille et le marteau, allaient enfin créer une société plus fraternelle et plus juste. En 1968, la révolte des jeunes allait balayer le vieux monde et ses carcans. On a vu ce que ça a donné. Quand le Mur de Berlin est tombé, on allait enfin vivre en paix et connaître la prospérité pour tous. Demandez aux Palestiniens et aux Afghans ce qu’ils en pensent.

Je sais bien comme vous que les crises qui secouent les sociétés font éclore de nouvelles forces et une énergie créatrice. C’est ce que répètent ceux qui savent, dont je vous parlais avant. Mais si j’essaie de lire au-delà des boules de cristal, je vois un monde terrifié par un virus que personne n’avait prévu et qu’on ne sait pas maîtriser. Un monde déboussolé qui recourt aux bonnes vieilles méthodes d’autrefois : restez chez vous, protégez-vous, c’est l’Etat qui payera votre salaire et qui sauvera votre entreprise avec les milliards de vos futurs impôts. Un monde où les gouvernements font preuve d’autorité, même s’ils naviguent dans le brouillard. Un monde où les opposants qui, eux aussi, n’avaient rien vu venir, protestent que les dirigeants font tout faux et qu’ils devront rendre des comptes. Un monde où l’économie s’effondre, où personne n’est sûr d’échapper au virus ni de garder son job et sa retraite. Vous, je ne sais pas. Mais moi, ça ne me fait pas sauter de joie pour l’avenir !

Je crois plutôt qu’on vit une de ces périodes que les historiens appellent déclin ou régression, quand les plus forts s’en sortent bien – merci Amazon et Google – et quand les autres – peut-être vous et moi – doivent réduire leur consommation, leur soif de voyages, leur désir de liberté et leurs ambitions pour l’avenir de leurs enfants. Je sais bien que le pire n’est jamais certain. Et j’espère bien me tromper. Un peu cyniquement, je crois plutôt à l’adage : « L’avenir appartient à ceux dont les ouvriers se lèvent tôt le matin ». Merci Coluche !

Dessin d’André Paul: La Joconde hilare, Maison du Dessin de Presse Morges.

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