Les chiens de garde du Covid-19


PAR MARC SCHINDLER

Rassurez-vous, je n’ai pas acheté un Doberman pour protéger ma maison. Les chiens de garde dont je vous parle, ce sont les journalistes, mes confrères. Ceux que la Cour européenne des Droits de l’homme appelle « les chiens de garde de la démocratie ». En 40 ans de carrière, je ne me souviens pas d’avoir mordu un méchant qui menaçait mon pays ! Mais la formule claque dans le vent ! Bon, va pour les clebs !

Le gouvernement français, dans sa grande sagesse, a décidé de reproduire sur son site officiel, « Desinfox Coronavirus », des articles qu’il considère comme fiables sur le virus, pour lutter contre les fake news. Sa porte-parole a précisé : « Plus que jamais il est nécessaire de se fier à des sources d’information sûres et vérifiées ». Il s’agit de lutter contre la désinformation en raison « du nombre démesuré de fake news qui peuvent mettre en danger la santé des Français ». Louable initiative de la part d’un gouvernement qui n’a cessé de raconter des bobards sur le manque de masques ! Ainsi donc, dans ce beau pays de France, ce sont des fonctionnaires qui décident ce qui mérite d’être imprimé. La bonne presse, quoi, les journaux estampillés sérieux. C’est vrai qu’en ces temps de virus, on trouve tout et n’importe quoi dans les médias : des enquêtes à sensation pour faire pleurer dans les chaumières, des scoops percutants pêchés sur les réseaux sociaux, des révélations croustillantes sur les vices des people de la politique, du sport ou du show bizz. Et même des infos sérieuses.

Il était grand temps que le gouvernement mette le holà et décrète ce que les Français doivent lire ! Et de quel droit, s’il vous plaît ? Du droit du pouvoir de museler ces journalistes qui le critiquent ? Parce que que c’est bien de cela qu’il s’agit. Les sociétés de journalistes ne s’y sont pas trompé, en dénonçant : « Le pouvoir actuel démontre, une fois encore, la défiance qu’il nourrit à l’endroit d’une presse libre et plurielle ». Dans tous les pays, les gouvernants aiment les journalistes qui transmettent la bonne parole officielle, ceux qui ne posent pas de questions embarrassantes lors des conférences de presse. Et ils ont une sainte horreur de ceux qui prétendent être un contre-pouvoir.

Comme tous les vétérans du métier, je me souviens du temps où la France avait un ministère de l’Information. J’ai en mémoire les conférences de presse du général de Gaulle, quand les journalistes étaient autorisés à poser une question approuvée par la service de presse de l’Elysée. Ou quand le président Pompidou appelait l’ORTF « La voix de la France ». Quand le ministre de l’Intérieur interdisait la vente de Charlie Hebdo qui avait osé faire sa une sur la mort du général avec ce titre provoquant : « Bal tragique à Colombey, un mort ! »

Mais, avec Internet, l’information, c’est la chienlit, selon la formule du général. Allez donc rectifier les affabulations balancées sur Facebook, Youtube et des milliers de sites. Une armée de zélés censeurs n’y suffirait pas. Il faut donc, estime le service d’information du gouvernement que le pouvoir bienveillant éclaire le peuple, comme la Liberté dans le célèbre tableau d’Eugène Delacroix. La tentation de la voix de la France est le péché mignon de Macron. L’an dernier, il avait défendu l’idée d’un conseil de déontologie des médias. Au début de l’année, il prônait même « une forme de régulation » des médias pour lutter contre les fausses nouvelles. Chassez le naturel…!

Comme tous mes confrères avec lesquels je débats sur la prétendue objectivité des médias, une chose est essentielle : la liberté de l’information et la diversité des sources. Il y a de détestables médias, il y aussi de médiocres journalistes. Mais ça n’est pas au gouvernement d’en juger. Chacun est libre de lire un journal, d’écouter une radio, de regarder une chaîne de TV ou de consulter un réseau social. Je n’ignore pas non plus le poids des intérêts politiques et économiques qui pèsent sur la liberté des journalistes. Il y a longtemps que je ne prends plus pour argent comptant tout ce que je lis, que j’écoute et que je vois. Mais je préfère un pays qui tolère une presse poubelle à un Etat où la Pravda est la seule source d’information. Je crois à la belle devise du Canard Enchaîné : « La liberté de la presse ne s’use que quand on ne s’en sert pas ».

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