Le virus de la peur et des méfiances


PAR PIERRE ROTTET

Le monde des médias a fait du covid sa surdose au quotidien, son unique breuvage à usage populaire. Excluant quasiment une actualité hors virus, mais pourtant bien réelle. Mise sous le boisseau… 

Difficile, voire impossible d’échapper à ce que l’anthropologue et expert en santé publique suisse, Jean-Dominique Michel dit à propos du coronavirus: “Nous sommes dans une dramatisation collective”. Il constate un traitement médiatique «assez hallucinant», qui en a fait «une catastrophe un peu apocalyptique, avec un ensemble d’indicateurs balancés à la face des gens».

Balancés! Sans retenue aucune. Qu’importent les contradictions, les errements infantilisants. Les rois des plateaux tv s’engouffrent dans des audiences jamais atteintes. Les médias, français ou suisses, par exemple, n’ont guère le temps ni la curiosité de s’intéresser au monde. Seuls le Brésil ou les États-Unis donnent à nos médias l’envie de retrouver un semblant d’esprit critique.

Que ce soit au Pérou en France ou en Suisse, le sujet ne change pas. La contagiosité des angoisses des populations dans cette dramatisation collective de la pandémie s’est muée en un autre virus. Celui de la peur et des méfiances. Avec parfois des touches critiques en forme d’alibi. Histoire de donner le change.

« Confinées, infantilisées, sidérées autant que terrorisées par les chaînes d’information en continu, les populations sont devenues spectatrices, passives, anéanties. Par la force des choses, les rues se sont vidées, écrit Serge Halimi dans « Le Monde diplomatique » paru ces jours. Il n’y a plus ni « gilets jaunes » en France, ni Hirak en Algérie, ni manifestations à Beyrouth ou à Barcelone, constate ce journaliste. Tel un enfant apeuré par le grondement de l’orage, écrit-il, « chacun attend de connaître le sort que le pouvoir lui réserve. Car les hôpitaux, c’est lui ; les masques, les tests, c’est lui ; les virements qui permettront de tenir quelques jours de plus, c’est lui; le droit ou non de sortir — qui ? comment ? quand ? avec qui ? —, c’est encore et toujours lui. Le pouvoir a tous les pouvoirs. Médecin et employeur, il est aussi notre juge d’application des peines qui décide de la durée comme de la dureté de notre confinement ».

Au-delà des peurs, des craintes et des phobies laissées, incrustées dans nos sociétés, il faudra bien un jour faire le bilan de ce désastre humanitaire. Des imprévoyances et des incompétences. Des ignorances surtout! Il faudra bien un jour répondre des incompréhensions à propos des conditions de vie dictées par ceux qui ont pensé pour vous, pour nous. Pour les « vieux ». De ce qui est bon pour eux. Résidents en maisons de retraite, confinés dans leur chambre, sans droit de visite. Isolés. Dans leur fin de vie comme dans leur mort (lire l’éditorial de Christian Campiche du 10 avril 2020). Sous les seuls yeux d’un personnel impuissant et mal payé.

Il faudra bien un jour expliquer comment en Suisse, par exemple, des dizaines et des dizaines de « vieux » ont été victimes de décisions censées les protéger, eux et leurs familles.

Photo: Laurette Heim, mai 2020.

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