Au Pérou, c’est la soixantaine!


PAR PIERRE ROTTET

L’Europe déconfine peu à peu. L’Amérique du Sud confine encore et toujours. Pour le Pérou, ça n’est plus une quarantaine que la population subit, mais bien une soixantaine. Et bientôt une septantaine. Rien ne laisse présager que la « centenaine » sera évitée, pour des citoyens fatigués, lessivés moralement. Et financièrement.

Les drames du corona-machin se vivent au quotidien au Pérou. Dans le silence. Le même silence qui entoure les drames sociaux que vivent, subissent, heure après heure, des centaines et des centaines de milliers de citoyens sans ressources, privés des petits boulots informels qui les laissaient certes dans la misère auparavant, mais avec de quoi subsister. Un peu ! Si peu ! Ce dont ils sont privés aujourd’hui. Surtout que les promesses du gouvernement d’aide aux démunis tardent à venir. Des peanuts, à vrai dire, après plus de deux mois de confinement total obligatoire. Sans un seul sol gagné !

Combien de millions sont-ils, les oubliés du système, les alibis des apparences du pouvoir, trois? quatre ?… bien davantage ? Impossible évaluation, après laquelle le gouvernement et son président Martín Vizcarra ne tiennent pas à courir. 67 ! Soixante-sept jours de confinement au total au moment d’écrire ces lignes. Le gouvernement semble naviguer à vue. 

Dans les marchés populaires de Lima, en particulier les deux cônes, nord et sud, régions vulnérables s’il en est, ou survivent là aussi des gens parmi les plus défavorisés… déshérités, on a détecté jusqu’à 50% de personnes atteintes du corona auprès des commerçants, notamment, me confie Reynaldo Muñoz, journaliste. Le problème ? Le gouvernement a décidé de fermer en théorie ces endroits sans tenir compte des réalités sociales, du terrain, dit-il. Beaucoup de pauvres, ceux qui peuvent, sortent au jour le jour pour acheter dans ces marchés populaires de quoi alimenter quelque peu leurs familles, vu qu’ils n’ont pas de quoi s’approvisionner pour une semaine. Sans compter que la plupart ne disposent pas de réfrigérateur. « On demande à tout le monde de se laver les mains ? C’est oublier que beaucoup parmi ces oubliés de la société préfèrent le comestible au savon. Sans parler qu’ils ne disposent pour beaucoup pas de l’eau courante nécessaire à cet exercice! ».

La cohorte des démunis, des ignorés du pouvoir, sauf en cas de présence de caméras et, bien au-delà, la population péruvienne paient le prix fort face aux incohérences des politiques, leurs discours éloignés de la réalité du terrain. Et avec eux, les gosses, bien entendu privés d’école. Et d’air libre à respirer. Seule concession, depuis le 18 mai, ils peuvent sortir en compagnie d’un adulte durant 30 minutes et à une distance de 500 mètres de leur domicile. Au maximum. Et encore ! Dans de nombreux endroits populeux de la capitale, toute sortie demeure interdite. Des parcs mêmes sont fermés. Autrement dit, on défend à des enfants de ressembler à des enfants. On se moque de savoir que des gosses vivant dans des conditions misérables, l’immense majorité, sont devant des écrans toute la journée, témoigne une mère de famille.

Un désastre humanitaire, aux retombées incalculables. Dans le cadre d’une enquête récente commanditée par « La Republica » l’Institut d’études péruvien (IEP) estimait que près d’un tiers de la population de 32 millions de citoyens se trouvait actuellement sans travail. Et donc sans ressources. Un tiers ? Selon l’étude en question, 51% des Péruviens craignent davantage la faim que le virus lui-même. 

« Le gouvernement a fait des promesses qu’il a été dans l’incapacité de tenir», s’insurgeait l’autre jour Rosa Maria Palacios, chroniqueuse à RTV Peru/La Republica. “Le pouvoir exécutif, balance-t-elle, à force de rétropédaler et de se contredire dans ses mesures, enlève à la population la possibilité d’ébaucher des plans à court terme. Le Pérou n’a aucun avenir. Parce que son futur est lié aux plans du gouvernement”. Le problème, dit-elle en substance, est qu’il en change tout le temps…

Des perdants ! Sans parler des familles qui ont à pleurer un être cher, ni des victimes de ce corona-machin, on ne compte que des perdants parmi lesquels figurent en première ligne les enfants, les écoliers et les étudiants péruviens. Un désastre ! Un désastre humain, social, économique et scolaire… Personne ne sait si l’année scolaire, qui a débuté peu ou prou au moment du confinement, mi-mars, pour s’achever en décembre, sera perdue ou non pour la plupart des enfants et adolescents péruviens. La politique gouvernementale en la matière ne rassure pas. Bien au contraire. « L’éducation semble complètement secondaire dans ce pays », s’insurge notre mère de famille. Un des nœuds du problèmes au Pérou depuis des dizaines, des dizaines et des dizaines d’années, pour faire court.

Et comme pour lui donner raison, le président vient d’avertir que les cours ne reprendraient pas de sitôt… malgré sa promesse faite il y a un mois d’une ouverture des établissements scolaires le 4 mai dernier. Dans les écoles publiques et privées, on tente tant bien que mal une « école à distance ». Le hic est que pour l’écrasante majorité des familles parmi les plus vulnérables, on ne trouve ni consoles ni connexion. Ce qui est loin d’être le cas pour les enfants qui fréquentent l’une ou l’autre des écoles privées. Lesquelles, pour les plus huppés de ces établissements scolaires tout au moins, en l’absence de certitudes et de mesures en vue pour 2020, ont pris sur elles d’organiser l’école à distance jusqu’en décembre. Soit jusqu’à la fin de l’année scolaire. Le virtuel pour les uns s’est substitué à la réalité pour les autres au Pérou. Mais c’est là une autre histoire !

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